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Grand’mère faisait des efforts surhumains pour garder sa physionomie ordinaire, mais, en dépit d’elle-même, ses yeux voilés recevaient, de l’épanouissement intérieur, un éclat qui frappa Sidonie.

« Tu as eu une bonne idée d’inviter nos petits voisins, dit-elle. Ramène-les souvent ; n’est-il pas vrai ? Sophie.

— Oui, oui, j’ai toujours du plaisir à voir des enfants. »

Ceux-ci ne soufflaient mot.

Ils dévoraient, à mesure, les tartines que leur confectionnait Claire, buvaient leur chocolat, silencieux ; se bornant à se dire, d’un coup d’œil échangé de temps à autre, qu’ils trouvaient exquis leur déjeuner.

On apporta enfin la grosse tarte. Mais la plus élémentaire prudence exigeait que l’on s’en montrât quelque peu avare.

Claire en coupa deux minces tranches.

« J’en veux plus que ça, fit Lilou, allongeant la lèvre, prêt à pleurer.

— Z’en veux trop, moi, » déclara carrément Pompon.

Et il tendit la main pour tâcher d’atteindre au plat, afin de s’adjuger lui-même le « trop » convoité.

Sur un refus de Claire, ils se mirent à crier avec ensemble, l’air de s’encourager mutuellement du regard.

« Ah ! ah ! cela se gâte », fit Sidonie.

Claire demeurait impassible.

« C’est tout le temps comme ça ; j’y suis faite.

— Oh ! ma chérie, supplia grand’mère, pour la première fois qu’ils viennent, ne leur refuse pas ce qu’ils désirent.

— Je le leur refuserai bel et bien. Ils auraient une indigestion ! Des enfants à soigner, merci ! D’abord je n’y entends rien ; et puis, j’ai horreur d’être garde-malade. »

Et, se levant, elle emporta la tarte. Les deux petits tournèrent leurs yeux désolés vers grand’mère.

« Claire a raison, dit celle-ci. Mais je vous invite à goûter : on servira la grosse tarte, et vous ferez votre part vous-mêmes. »

Puis, regardant la jeune fille :

« Peut-être devrais-tu les reconduire. Leurs parents vont s’inquiéter, à ne pas les voir autour de l’habitation. Qu’ils n’aillent pas être fâchés que ces petits soient venus chez nous…

— Leurs parents ! Ils n’ont point de maman. Ils prétendent même n’en avoir jamais eu. Pour leur père, il est absent. »

Mme  Andelot avait tressailli en entendant Claire annoncer que Lilou et Pompon étaient orphelins. Elle avait pâli, aussi, et ses mains s’étaient remises à trembler.

Elle baissa les yeux, comme pour enfermer en elle-même ses impressions, et ne dit plus rien.

Peut-être ne pouvait-elle pas parler…

« Qui donc s’occupe d’eux, alors ? s’informa Sidonie.

— Des bonnes étrangères, qui m’ont surtout l’air de penser à se bien soigner. À quel moment que je m’informe, les enfants me répondent toujours qu’elles mangent », repartit Claire.

Pétiôto gronda de sa voix rude :

« Pauvres chérubins ! »

Et elle les embrassa.

Grand’mère aussi posa ses lèvres sur leurs cheveux, en passant. Toutefois, on eût dit qu’elle s’appliquait à paraître indifférente.

Elle gagna sa bergère sans se retourner. Et, sitôt qu’elle y fut assise, elle ferma les yeux, comme si le sommeil allait la gagner.

La vieille dame était sujette à ces engourdissements, après les repas. Sidonie, non plus que Claire ne furent point surprises de la voir somnoler. Elles se hâtèrent un peu plus, pour emmener les enfants, grand’mère ayant besoin de silence autour d’elle durant ces siestes rapides.

« Regagnons notre échelle, mes petits, pro-