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gros en plus belle soie qu’il n’en avait jamais vu aux fichus des plus cossues de Penhoël, les jours de grand Pardon. Naïk se retourna d’abord pour s’assurer qu’il n’y avait personne aux environs. Après quoi, il ramassa la chose sans presque se baisser, l’enfouit sous sa veste et continua sa route tout raide, une bosse sur la hanche. Naïk marcha, marcha… Il se dirigea vers un endroit très désert du rivage. Là, entre des rochers hauts, sûr de n’être pas épié, il ouvrit enfin le paquet d’Yvon. Il déplia la soie et trouva le médaillon de Manette.

Naïk devint tout rouge. Précipitamment il refit le paquet et courut d’une traite le fourrer dans une fissure cachée, qui lui servait de secrétaire, et qui était, bien entendu, hors de portée de la marée. Après quoi, il s’assit sur une arête de granit, les jambes pendantes, et médita.

Naïk n’était pas honnête : personne ne lui avait appris à l’être. L’idée qu’il eut tout de suite fut de s’approprier ces belles affaires. Mais la réflexion vint. Qu’est-ce qu’il en ferait ? Il n’oserait pas les laisser longtemps dans cette cachette. D’autres gamins du pays faisaient souvent résonner leurs sabots dans ces parages. Quant à rapporter ce trésor à la maison, il aurait préféré le jeter à la mer. Et le résultat de ses réflexions fut que, puisqu’il ne pouvait pas vendre sa trouvaille (on l’eût mis en prison), ce qu’il avait de mieux à faire était de la rendre à celui à qui elle appartenait et de tâcher d’avoir une récompense honnête.

Or, à qui une si belle affaire pouvait-elle appartenir, sinon aux gens du château ? À cette pensée, Naïk se dérida. On savait dans le pays que le chevalier était large ; il avait beau n’être pas riche, il ne vous jetait jamais dans la main moins d’un écu. La seule chose que craignait Naïk, c’est que le gentilhomme, ou la grande demoiselle Manon, qui tricotait tout le temps des surcots pour les gamins, au lieu de s’amuser, donnât de l’argent à la famille Dagorne et non à lui-même. Car, pour l’argent, il était sûr qu’il y en aurait, et une bonne somme, une somme comme il n’en avait jamais vu. Mais, provisoirement, se sentant propriétaire, Naïk n’était pas pressé de se dessaisir de son trésor. Il serait temps de voir demain.

En conséquence, tout en se promettant de surveiller du coin de l’œil les alentours de sa cachette, il sauta sur la roche au-dessous, et clapotant avec ses sabots, d’une agilité étonnante, il poussa une course joyeuse vers la mer basse en sifflotant et se mit à pêcher. Le soir, il porta des crevettes au château et y apprit de Jeannie que M. le chevalier était en voyage. Cela le contraria vivement. Au soir, il se glissa jusqu’à la maison où l’attendait une large distribution de taloches en guise de souper, le père étant en mer ; mais il accepta philosophiquement cette nourriture, songeant qu’il était riche.

La nuit passa par là-dessus. Le lendemain, à l’heure de la marée haute, Naïk ne pouvant pêcher, décida qu’il irait cueillir des noisettes et voler les pommes douces de la mère Mahek. Le verger de la mère Mahek, que Naïk affectionnait autant qu’il détestait sa propriétaire, s’étendait entre la route de Quimper et le ruisseau du pays, tout bordé de noisetiers. Le terrain était donc excellent pour la double opération qu’il projetait. Il n’oublia pas de la ficelle, préparée avec des nœuds coulants, dans le cas où il approcherait enfin la plus grosse oie du troupeau Mahek, qu’il guignait depuis longtemps, dans l’espoir d’en faire un jour la pièce de résistance d’un festin monstre quelque part, là-bas dans les rochers. Naïk, donc, les mains dans ses poches, de l’air le plus effrontément innocent, mal mouché, il faut bien le dire, s’avançait sur la route de Quimper, en sortant du bourg, quand M. le chevalier, à cheval, suivi du vieux Charlik, sur sa vieille jument, se présentèrent à la vue du