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gamin. Naïk, prévenu la veille que le voyage du seigneur devait être long, se dit tout de suite, judicieusement, que celui-ci ne revenait peut-être que pour une heure, ayant oublié quelque chose, et qu’il ne fallait pas le laisser repartir. Il le salua donc, en marmottant une phrase pour l’arrêter ; mais il parla très bas, car le chevalier lui faisait peur. M. de Valjacquelein, absorbé dans des pensées qui n’étaient point couleur de rose, vit à peine ce môme déguenillé, crut qu’il mendiait et passa outre. Naïk, désappointé, ne se tint pas pour battu. Le vieux Charlik lui faisait beaucoup moins peur, précisément parce que celui-ci avait quelquefois contribué à grossir son contingent de calottes, ce qui avait établi des rapports entre eux.

« Qu’est-ce que tu vas voler par là » ? lit Charlik du haut de sa haridelle, en le voyant s’approcher.

Tout de suite, croyant mentir, et dans le dessein de se faire écouter à coup sur, Naïk lança en breton :

« J’ai trouvé des affaires à M. Yvon sur la grève.

— Hein, bon Dieu ! s’écria Charlik. Attends ! ne bouge de là ! »

Et il piqua sa bête de l’éperon, rejoignit le chevalier, qui, au premier mot, tourna bride. Sans désemparer, le chevalier voulut être en possession de la trouvaille. Le gamin fut hissé en croupe de Charlik et, en un temps de galop, on arriva à la cachette. La vue du médaillon fut à la fois une déception et un soulagement pour le père. Il avait craint que ce fussent des vêtements de son fils noyé. Toutefois ce bijou ne lui paraissait avoir aucun rapport avec son enfant. Il s’en fallut de peu qu’il n’en fit pas jouer le couvercle. Pourtant, il ouvrit, et il lut !… La mer n’avait, cette fois, rien détérioré.

Une exclamation d’horreur s’échappa des lèvres du malheureux père. Il songea tout de suite qu’il s’était écoulé quatre jours et trois nuits depuis la disparition d’Yvon. Son enfant devait être mort de faim et de soif ! Et de quelle façon horrible… Le chevalier ne prit que le temps de demander à Naïk : « Quand as-tu trouvé cela ?

— Ce matin », mentit l’autre.

On sauta à cheval. On vola sur la grève. Le chevalier prit en passant la corde d’un filet étendu à sécher, et ils arrivèrent sur la falaise. La recherche exigea beaucoup de temps. Le chevalier se mourait d’angoisse et cherchait mal. Il voulait d’ailleurs que ce trou, où son fils se disait tombé, fut situé dans une carrière de pierre abandonnée, encombrée de broussailles, et assez près du Calvaire désigné dans le billet. Trois fois il entra dans le sentier menant à la grotte, vit la source, vit la couverture de vieux lierre et de ronces presque collée au roc sans chemin apparent, et ressortit.

Naïk, qui les avait suivis et qui regardait Charlik et le chevalier aller, venir, chercher, fureter, n’y comprenait rien. Il restait là, bouche béante. Charlik, aussi désespéré que son maître, mais la tête moins perdue, eut l’idée d’informer le gamin de ce dont il s’agissait et lui ordonna de chercher aussi. Il lui expliqua brièvement qu’il devait exister dans les environs un trou de rocher où M. Yvon était tombé.

Naïk ne connaissait pas la grotte. Il fut très étonné, mais, grâce à la science réelle qu’il avait de la côte, il se dit aussitôt que s’il existait quelque part une excavation, ce ne pouvait être que dans une échancrure de la falaise dominant la mer. Et il alla presque tout de suite où il fallait. Il sortit de dessous le rideau de ronces après avoir découvert l’entrée de la grotte et, avec sa prudence instinctive de madré petit Breton, il ne parla pas aussitôt. Il ne cria pas, il n’appela pas. Il s’avança vers le chevalier, empêtré dans les ajoncs dans le creux de la carrière, et il lui dit :