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« Monseigneur, j’ai trouvé le trou. Vous me donnerez quelque chose. »

Le chevalier s’arracha des ronces, sauta sur la falaise, lança sa bourse pleine d’or au gamin, tout en courant à côté de lui. Il se précipita à l’entrée et se laissa glisser dans la grotte.

Elle était vide !  !  !

Il n’y avait plus ni Yvon, ni petite Manette.

Il n’y avait plus de caisses, il n’y avait plus d’étoffes, il n’y avait plus rien que le lit de varech et un petit tricorne défoncé, trempé, maculé de boue, sur lequel on avait piétiné, et que le chevalier embrassa pourtant passionnément, pleurant en cet endroit à lui seul plus que les deux enfants n’avaient pleuré en plusieurs jours, et tellement hors de lui, ne sachant ce que pouvait signifier cette seconde disparition, qu’il s’en prit aux pierres des parois, les frappant du poing, voulant absolument qu’elles lui rendissent son fils.

Le père eut un moment d’angoisse indicible, à inspecter les crevasses du fond de la caverne. Bien que leur étroitesse rendit le fait invraisemblable, il craignit un moment que son Yvon chéri ne fut là, mort, mort de faim et de soif. Il fallut attendre qu’on apportât de quoi faire de la lumière. Attente mortelle ! Après quoi, le fond des crevasses apparut, vide comme le reste.

Cette disparition laissait encore de l’espoir. Il fallait qu’Yvon fût quelque part, mort ou vivant ; il n’y avait point de doute que ce ne fut bien là la cavité où il avait séjourné, la présence du chapeau en faisait foi. Et il ne pouvait être mort, à moins qu’on ne l’eût assassiné, puisqu’il avait écrit un deuxième billet trouvé le matin même… à moins que le médaillon n’eût pas été découvert tout de suite, qu’il eût été lancé en même temps que le bouquet. C’était possible ! Et le chevalier, plus que jamais, répétait désespéré : « Que faire ! »

La pensée lui vint alors que peut-être Yvon avait réussi à s’échapper et qu’il était au château, qu’il allait le revoir. C’était bien invraisemblable, car il se fût trouvé vingt personnes sur la route pour lui crier la nouvelle. Et néanmoins, le pauvre père se raccrochait, en galopant vers le château, à cette espérance qui devait être déçue : personne n’avait vu Yvon.

Ces nouveaux incidents plongèrent le château dans un nouveau trouble. Le vieux baron frémit de colère à l’idée des contrebandiers, dont le notaire supposait l’existence. La lettre d’Yvon les fit tous trembler. Ils le voyaient dans son cachot de roche, se traînant en proie aux affres de la faim, et le fait que l’enfant ne s’y trouvât plus paraissait plus incompréhensible que tout le reste. Dans sa lettre, il ne parlait point de contrebandiers, et cependant l’objet même qui la contenait, la soie dont était entouré cet objet, l’objet lui-même, donnaient à penser qu’il provenait de vols, et que, par conséquent, l’enfant était aux mains de quelques brigands. Mais alors, pourquoi avoir mis cette lettre dans le médaillon ? Ce n’était certainement pas ses ravisseurs qui lui avaient donné un bijou assez précieux, dans le seul but de contenir sa lettre, et des soies d’Orient par-dessus le marché. Donc, l’enfant avait écrit de lui-même, en cachette. Dès lors, pourquoi ne parlait-il pas de ses ravisseurs ? Il était libre de le faire, puisqu’il écrivait secrètement.

Toutes ces questions demeuraient sans réponse. On tourna et retourna le bijou, on examina le portrait, les cheveux de la mère de Manette. Si ce médaillon n’était pas volé, quelle était cette femme et quels rapports pouvaient s’être établis entre Yvon et elle ? Autre question non moins insoluble. Au milieu de la consternation subsistait une certitude, ou du moins une presque certitude que l’enfant était bien vivant à cette heure ! Grande Manon, cette fois, était tellement abattue, qu’elle ne tricotait pas. Ses yeux ne quittaient