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MONOGRAPHIES VÉGÉTALES

« Un homme expiré !… » s’exclama M. Horatio Patterson.

Il aurait pu dire un homme noyé, qui avait dû être frappé d’un coup de coutelas avant de tomber à la mer, et dont les vêtements étaient encore rouges de sang…

C’était le cadavre de l’un des matelots massacrés l’avant-veille à bord de l’Alert. Remonté à la surface, il ne tarderait pas à disparaître dans les profondeurs de la mer.

Jules Verne.

(La suite prochainement.)

MONOGRAPHIES VÉGÉTALES[1]

LES PLANTES CÉLÈBRES OU LÉGENDAIRES

Le Genévrier (Juniperus). C’est du mot celtique jeneprus, qui signifie âpre, rude, qu’a été tiré le nom de ce conifère (le dernier dont il sera question ici), pour caractériser le feuillage épineux et rigide de ce personnage rébarbatif.

Est-ce parce qu’il a conscience de sa rustique physionomie, qu’il s’éloigne des habitations et va se réfugier sur les coteaux les plus sauvages ? Toujours est-il que ce n’est pas ailleurs qu’il faut le chercher et qu’on ne le rencontre guère que dans les terrains les plus arides, au milieu de roches éboulées, derrière lesquelles il semble vouloir se cacher pour y bouder tout à son aise.

Toutefois, ne soyons pas injuste : c’est peut-être par pure modestie qu’il s’isole de la sorte, car ce maussade possède des vertus secrètes et des qualités cachées. C’est dans le silence des lieux déserts qu’il travaille, qu’il façonne son admirable bois dur, veiné, de fine texture, qu’apprécient hautement les tourneurs et ciseleurs artistes ; c’est surtout aux brises des solitudes qu’il livre ses senteurs et aux oiseaux des champs qu’il abandonne ses baies aromatiques.

Ces baies ne sont pas seulement bonnes pour les merles et les grives ; les hommes s’en accommodent à merveille, sachant qu’elles renferment des petites graines très riches en térébenthine qui les rendent au plus haut degré toniques, stomachiques et stimulantes, si bien qu’on en tire, après fermentation, outre une excellente liqueur et une espèce d’eau-de-vie appelée gin fort appréciée par les habitants du Nord, des produits pharmaceutiques d’un usage habituel dans les maladies scrofuleuses, le scorbut, la goutte, l’asthme et autres affections résultant de la débilité de l’organisme.

Aussi, est-ce à ces vertus que le genévrier doit l’honneur d’avoir été l’objet d’une espèce de culte superstitieux. Les Baschkirs russes lui attribuent le pouvoir souverain de détruire sortilèges et maléfices de toute nature. Ils suspendent ses branches dans leurs habitations, et Pallas, qui mentionne le fait, ajoute qu’en Sibérie, le genévrier est employé comme remède universel pour toutes les maladies, sans qu’on s’occupe le moins du monde de la nature des affections pour lesquelles il est administré. Ce n’est pas tout, puisque, s’il en faut croire les occultistes, un rameau de cet arbre fait fuir les serpents, parce qu’il porte en plusieurs manières le signe de la Trinité, tandis que, d’autre part, ses graines guérissent les possédés. Ajoutons, enfin, que ces mêmes baies brûlées dans une chambre, sur une pelle rougie au feu, y répandent des senteurs balsamiques qui en purifient l’atmosphère.

En Amérique, une espèce de genévrier

  1. Voir les nos 137 et suivants.