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assurée, et puis, mon père payera ce qu’il faudra. »

Il ne pouvait rien dire de plus mauvais.

C’était éveiller une idée que ces hommes n’avaient pas encore. Il eût mieux valu cent fois pour eux qu’Yvon et Manette fussent deux enfants de pêcheurs de la côte comme Naïk, et dont les familles ne fussent pas à craindre.

Mais, l’eût-il voulu, Yves n’aurait pu dissimuler ni sa naissance, ni celle de Manette. Rien que leurs vêtements les eussent trahis, Manette, en ce moment, pétrifiée d’épouvante, aurait renseigné d’elle-même. Et, de plus, même pour sauver sa vie, le cadet de Valjacquelein ne se fût pas abaissé à mentir.

« Ah !., ton père payera ? Il est donc riche, ton père ?

— Mon père, répondit fièrement l’enfant, est le chevalier de Valjacquelein. Vous, qui êtes-vous ? »

À cette parole, les hommes s’esclaffèrent :

« Seigneur de Valjacquelein, dit l’orateur qui semblait le chef, nous te présentons nos compliments et te prions de descendre ! »

Et, ôtant son chapeau, il salua grotesquement jusqu’à terre. Yvon, devenu tout pâle, ne bougea point.

« M’entends-tu ? répéta l’autre, d’une voix colère. Tu sais, on m’obéit, à moi ! »

Yvon ne bougea pas davantage.

« Si vous me faites du mal, dit-il d’une voix tremblante, à moi ou à la petite fille, vous le payerez cher. Nous n’avons rien fait, répondit-il.

— Rien que ça : un saccage ! reprit l’homme en désignant d’un geste tout le désordre de la grotte. Assez causé, le fils de hobereau ! »

Le terrible homme saisit Yvon par les jambes et le déposa rudement assis contre la paroi de roche.

« Tiens ta langue, ou gare la garcette ! Nous verrons tout à l’heure », gronda-t-il.

Yves avait crié, mais bien inutilement : « Ne me touchez pas ! ne me touchez pas ! » Dès qu’il se trouva libre, il se releva, alla prendre Manette par le bras, et se retira avec elle dans un coin de la grotte.

Les hommes commencèrent à ranger, à replier les étoffes rapidement tout en s’entretenant à voix basse en anglais. Ni Yvon, ni Manette ne savaient cette langue.

« Voilà une déveine ! s’écria le chef. Cela va nous faire perdre notre cachette, ici.

— Peuh ! repartit un autre, il y a moyen de ne rien perdre.

— Oui, dit le chef, avec un affreux geste des mains, on leur tordant le cou, à ces moineaux.

— Il n’y a point de risques à courir, personne ne sait qu’ils sont ici, observa un troisième.

— Je me moque des risques, reprit le chef, et de tous les nobliaux de Bretagne ensemble, du roi de France et du Parlement. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Si nous leur faisons leur affaire, on en trouvera trace tôt ou tard, on nous soupçonnera et nous ne serons plus tranquilles pour faire passer la marchandise dans la région.

— Nous ne serons pas davantage tranquilles si nous ne leur faisons pas leur affaire, dit celui qui avait parlé le second.

— C’est vrai, reconnut le chef. Sale histoire !

— Le mieux serait de les jeter tout bonnement à la mer. Le flux les apportera : on croira qu’ils se sont noyés par accident, et nous ne perdrons rien. »

Le plus jeune de la bande, qui empilait les biscuits, prit la parole :

« Je ne pense pas que nous allons jeter ces mioches à la mer pour rien, opina-t-il nettement. Je veux bien faire passer de l’eau-de-vie malgré les gens du roi et les gabelles, mais nous ne sommes pas là pour « trépasser » les enfants. Le mieux, c’est de les emmener. Ce gars-là, avant six mois, je veux que ce soit un rude mousse. Il n’a pas l’air d’avoir peur, et pourtant, à vous entendre parler, y aurait de quoi…