Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre. Il y a des gens qui se dérangent pour aller regarder ça.

— Ce ne doit pas être bien curieux.

— Ça dépend des goûts. Je croyais que tu t’intéressais à ces choses du vieux temps. Tu t’extasias si fort sur les ruines du château !

— Nous verrons votre canal un autre jour ; partez sans moi.

— Mais je n’allais à Costaros que pour t’accompagner.

— Eh bien, faites mettre Friquet à la charrette et envoyez-y Théofrède tout seul.

— À présent qu’on lui a fait atteler le cheval à la jardinière ! Tu ne connais pas Théofrède. Nous en aurions pour une semaine à l’entendre geindre. Tu aurais pris ton bloc et tu aurais dessiné, tiens ! Cette vieille pile de l’ancien pont, au milieu de la Loire, ce n’est pas vilain.

— Et grand’mère ? » objecta Clairette à bout d’arguments.

Pour le coup Pétiôto demeura bouche bée… Mettre grand’mère en avant, elle qui, d’ordinaire, ne s’en inquiétait pas plus que si MMe  Andelot n’eût pas habité la maison !… Qu’avait cette petite dans l’esprit ? Elle répondit :

« Sophie fera comme chaque fois que nous sortons et que Rogatienne est malade, la pauvre ! Elle appellera Modeste, si elle s’ennuie trop. Peut-être aussi les bambins viendront-ils ; on ne les pas vus hier : elle fera la partie de dominos avec René. Un amour ! cet enfant-là.

— Quoi qu’il en soit, ma cousine, je ne sortirai… »

Claire n’acheva point : on marchait là-haut… M. de Kosen aurait-il si vite reconnu le chemin d’autrefois ?…

Elle se sentit interloquée à la pensée de se rencontrer avec lui : c’était trop soudain.

Que répondre, s’il demandait qui avait rétabli les choses en l’état où il les avait laissées jadis ?… Qui avait porté le petit soulier là où il l’avait perdu ?…

Et s’il s’informait, pourquoi tout cela ?… Curieuse jusqu’à l’indiscrétion, jusqu’à s’introduire dans la propriété du voisin : elle n’avait pas été moins coupable… Voilà ce qu’il faudrait qu’elle avouât !… C’était par trop gênant.

Se décidant brusquement :

« Au fait, j’y vais, tenez, à Costaros. Vous diriez encore que je ne sais pas ce que je veux. »

Et, entraînant Sidonie que ce revirement subit ahurissait, elle décrocha son chapeau de jardin, poussa la vieille fille dans la cour, l’aida à se hisser en voiture comme s’il se fût agi d’une fuite.

« Et ton bloc ? tu ne l’emportes pas ?

— Non ; je n’aurais pas le temps de dessiner.

— Va tout au moins embrasser ta grand’mère.

— Je lui dirai au revoir en passant sous sa fenêtre ; je la quitte il y a un quart d’heure. »

Prenant Friquet par la bride, Théofrède fit sortir l’équipage de la cour.

« Au revoir, grand’mère, nous partons, » cria Claire, se dressant dans la voiture pour envoyer un baiser.

Mais la jeune fille resta pétrifiée, les doigts à la hauteur des lèvres…

Debout, à deux pas de la vieille dame, se tenait Hervé de Kosen, le petit soulier à la main.

« Tu vas tomber ! » s’écria Sidonie, qui n’avait rien vu du tout, et ne s’expliquait pas l’attitude de la jeune fille, encore debout, malgré que Friquet se fût mis à trotter.

Claire s’assit.

Elle riait, contente d’avoir échappé à l’embarras de la rencontre.

« Ah ! ah ! pensait-elle, il l’a retrouvé, son chemin de jadis… Ce qu’il a dû être « épaté »,