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l’un de ces oignons si âprement convoités, la somme de quatre mille six cents florins, plus une superbe voiture attelée de deux magnifiques chevaux. Un autre fou-tulipier échangea, pour un seul oignon, douze arpents de terre. On raconte, d’autre part, qu’un autre oignon décoré d’un nom pompeux, mais dont on ne vit jamais la fleur, fut vendu à plusieurs reprises cinq mille cinq cents florins. Enfin, à Lille, un de ces amateurs extravagants céda, pour un troisième oignon, toute une brasserie qui s’appela dès lors la « Brasserie de la Tulipe ».

Tout cela était pure folie, l’on essayerait en vain de le contester ; mais, ce qu’il faut avouer, ne fut-ce qu’à titre de justification rétrospective, c’est qu’un parterre rempli de ces tulipes aux colorations merveilleuses est d’une telle magnificence que l’on est presque tenté d’excuser les convoitises irrésistibles de ces tulipomanes dont nous venons de raconter les excentricités… alors surtout que le soleil pénètre de ses lueurs dorées, pétales de satin, pétales de velours, aux pourpres rutilantes, aux jaunes éclatants ou aux bruns mordorés.

Ce ne sont pas seulement les Hollandais qui poussent leur admiration, feinte ou réelle, jusqu’à un véritable fanatisme ; chez les Orientaux, nous la retrouvons avec toute son exubérance, cette « tulipolâtrie ». Dans les somptueuses demeures des hauts dignitaires de la Turquie et de la Perse, quand vient l’époque de la floraison, on se livre à des réjouissances appelées « Fête des Tulipes ». Toutes les galeries des riches tulipomanes sont ornées des plus magnifiques spécimens de leurs parterres qui, le soir, sous des torrents de lumières, sont groupés en éblouissants trophées, en cascades ruisselantes dont les glaces multiplient, en de longues perspectives, les teintes éclatantes que font ressortir par contraste d’habiles et artistiques juxtapositions.

Dans la série de ces belles liliacées, qui généralement sont inodores, il existe une variété de tulipes odorantes qui se distinguent de leurs congénères par la douceur des parfums qu’elles exhalent.

Ajoutons, enfin, que toutes les tulipes ne sont pas cultivées. L’on en trouve une variété sauvage qui croît sur certains coteaux de la France centrale, mais tout particulièrement sur les montagnes de la Savoie où la jolie fleur à odeur miellée et à pétales jaunes se détache d’une manière charmante sur les roches noires ou sur le feuillage sombre des plantes alpestres qui environnent la « tulipe d’or ».


Le Laurier (Laurus), famille des Laurinées. Qui ne connaît cc nom glorieux ?… Et qui ne connaît aussi, hélas ! les surnoms injurieux qui lui ont été accolés par tout un peuple de vulgaires contempteurs ? Comment se peut-il que le noble laurier des triomphateurs ait été bafoué de la sorte ? N’est-ce pas lui qu’on appelle laurier commun, qu’on appelle laurier-sauce, qu’on appelle, enfin, ô scandaleuse ironie ! laurier-à-jambon ?

Que lui importe, après tout ? Son vrai nom n’est-il pas Laurus nobilis ou laurier d’Apollon ? Et c’est de ce dernier seul que nous nous occuperons ici.

On connaît ce bel arbre qui, dans l’Europe méridionale, la Grèce, le nord de l’Afrique, l’Asie Mineure, s’élève à la hauteur d’une dizaine de mètres environ. Ses feuilles toujours vertes, fermes et dentelées, ainsi que ses fleurs d’un jaune pâle, exhalent quand on les froisse une odeur aromatique.

Aucun végétal n’a joui d’une plus haute célébrité que consacre à tout jamais le joli mythe légendaire de la jeune Daphné, fille du fleuve Pénée, qui, quelque peu effarouchée un jour par l’admiration peut-être mal dissimulée du bel Apollon, s’enfuit vers le fleuve, en implorant le secours de son père. Celui-ci intervint aussitôt, mais d’une façon quelque peu bizarre à la vérité, car voici la jeune fille