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MONOGRAPHIES VÉGÉTALES[1]

LES PLANTES CÉLÈBRES OU LÉGENDAIRES

Laissons ces braves anciens à leur « emballement » et passons au moyen âge. Là, nous retrouvons le laurier. C’est naturellement de son feuillage qu’on ceignait la tête des jeunes docteurs universitaires auxquels un certain nombre de « boules blanches » conféraient le titre de lauréats (du latin laurus, laurier) ; mais il y avait plus : au feuillage des couronnes on mêlait des fruits, des baies, appelées bacca lauri. Or, de la combinaison de bacca lauri, avec lauréat, que pouvait-il sortir ?… Vous l’avez deviné de suite, c’est notre vocable moderne, baccalauréat, auquel se rattache, cela va sans dire, l’autre terme qui en dérivait : bachelier. Et voilà comment se relie au triomphe de nos modernes récipiendaires, l’antique et double souvenir d’Apollon et de Daphné.

Revenons à nos anciens. Le laurier incarnait à ce point le symbolisme de la puissance, du triomphe, que Romains et Grecs s’imaginaient qu’il pouvait les préserver de la foudre ; aussi avaient-ils la précaution d’en planter autour de leurs maisons, voire même de leurs palais… oui, leurs palais, car les empereurs, non moins que les gens du menu peuple, croyaient à l’efficacité de ces « paratonnerres » ; si bien que Tibère, au dire de Pline, s’empressait, à l’approche du moindre orage, de se couvrir la tête de quelques rameaux du végétal préservateur.

D’autre part, puisque le laurier triomphait de la foudre, pourquoi donc n’aurait-il pas triomphé de quelques-unes des maladies dont se trouve affectée la misérable humanité ?… Hypothèse toute naturelle qui fit décerner à ce végétal, véritablement magique, le titre de plante médicinale que semblaient justifier, du reste, sa saveur pénétrante et l’arôme qu’exhalent ses tissus imprégnés d’une huile essentielle excitante et tonique. Il n’en fallait pas davantage pour qu’il devînt l’attribut d’Esculape, le dieu de la médecine, comme il était déjà celui d’Apollon, le dieu de la poésie, de la musique et de tous les beaux-arts généralement quelconques. C’est ainsi qu’il fut considéré comme le remède héroïque devant lequel cédaient la peste, les fièvres, les morsures des bêtes venimeuses. Ses baies servaient de vermifuge. Toutes les parties du végétal, affirment encore certains praticiens modernes, sont essentiellement antimicrobiennes et, s’il faut en croire les occultistes, c’est en raison de toutes ces vertus manifestes ou latentes, que les devins antiques mâchaient des feuilles de laurier, afin d’augmenter leur clairvoyance et d’exalter leurs facultés divinatoires.

Et dire, — nous y revenons, tant est grande notre indignation, — dire après tout cela, que les feuilles de ce laurier de si noble origine et de si hautes vertus, étant parfois employées dans certaines préparations culinaires dont elles aromatisent le goût… lui ont valu le surnom déshonorant de laurier-sauce — véritable profanation.

Le laurier-cannellier, proche parent de son glorieux homonyme, porte un nom spécifique qui vient du mot italien cannella, petite flûte, faisant allusion à l’aspect des petits rouleaux que l’on fait avec son écorce.

Cet arbre parfumé, aromatique, croît dans l’Inde, à Java, à Bornéo, en Cochinchine et surtout à Ceylan, qui produit la cannelle la plus estimée.

Quand le cannellier a cinq ou six ans, l’on

  1. Voir les nos 137 et suivants.