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avant de me mettre au travail. Quand je m’aperçois qu’ils se sont éclipsés, il s’est écoulé une heure… quelquefois davantage… Bien mal gardés, les pauvres petits !

— Mais nous voici en nombre », dit Thérèse, rapprochant son siège de celui de Claire.

L’entrée de Sidonie et de Mme  Lortet obligea grand’mère à de nouvelles présentations.

Puis l’entretien reprit, un peu contraint.

Claire et Thérèse causaient en aparté.

Son bébé sur les genoux, sa fille assise à ses pieds sur un tabouret bas, la jeune femme gardait dans son rôle de mère de famille sa gaieté d’autrefois.

Clairette, qui avait tant redouté le jugement de Mme  Murcy, n’en revenait pas de cette simplicité de manières et de mise.

Une robe de piqué blanc, un chapeau de mousseline orné de velours cerise composaient sa toilette.

Elles parlèrent du Velay d’abord, puis du Jura, où résidaient habituellement les Murcy en été, puis des bébés.

Yucca jetait de temps en temps à travers leur conversation un mot qui laissait deviner que celle-ci l’intéressait plus que l’autre.

Lilou et Pompon jouaient avec les cheveux de Claire, les lui ramenant sur le front, les tirant en arrière, au gré de leur caprice, sans aucun souci de ménager l’harmonie de sa coiffure. Ils exigèrent ensuite qu’elle les fit sauter, et enfin prétendirent l’envoyer chercher les vieux jouets qu’on leur avait prêtés déjà une fois.

« Résistez, lui conseilla tout bas Thérèse, ne vous laissez pas tyranniser ainsi.

— Ce n’est pas mon habitude, répondit Claire avec un sourire énigmatique, seulement… »

Elle n’acheva pas, par la raison que sa pensée était malaisée à traduire.

Ce qu’elle voulait expérimenter, c’était si le baron de Kosen tolérerait, sans intervenir, la conduite des petits.

Intervenir… il n’y paraissait guère songer. Et pourtant, quelle que fut l’attention qu’il prêtait aux moindres paroles de sa grand’mère, rien ne lui échappait de ce qui se passait là-bas, dans ce coin bruyant.

Lorsque Pompon prit le parti de supplier, l’air pleurard :

« Te me donnes pas qué de çoze ?… »

Hervé ne domina qu’à grand’peine son envie de rire.

« C’est trop fort ! pensa Claire. Je m’explique à présent que ces bonshommes soient ce qu’ils sont : leur père leur passe tout ! Eh bien, je suivrai le conseil de Mme  Murcy ; je ne leur céderai pas, moi. »

Faisant glisser les deux enfants de ses genoux, elle prit le poupon de Thérèse et parut s’absorber dans sa contemplation.

« Je n’avais jamais vu de bébé si petit, avoua-t-elle.

— Est-ce possible ! fit la jeune maman. Vous avez cependant du en rencontrer souvent à Paris, dans vos promenades.

— Je ne les regarde pas, d’ordinaire ; je n’aime pas beaucoup les enfants.

— Je veux que tu me z’aimes », protesta Lilou, qui, dans un accès de jalousie, se mit à crier de toutes ses forces.

Claire parut ne pas l’entendre. Elle poursuivit :

« Votre petit garçon est si sage, madame, qu’on a du plaisir à l’embrasser. Tiens ! le voilà qui me sourit ! Comment, les bébés de cet âge savent rire ? Je croyais que ça criait tout le temps, ces petits êtres. »

À présent, les deux enfants hurlaient de compagnie.

« Ze veux les vieux zouets, clamait Pompon.

— Je veux que tu me z’aimes et Pompon aussi, et que tu viendes ce soir avec nous », gémissait Lilou.

Et, comme les cris de l’un faisaient tort aux réclamations de l’autre, ils s’administraient réciproquement des gifles.

Hervé pensait en lui-même :