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BOURSES DE VOYAGE

les puissances d’accord, en tranchant la question au profit des États-Unis. Toute l’Amérique aux Américains, et rien qu’aux Américains ! Ils auraient bientôt ajouté une nouvelle étoile aux cinquante qui, à cette époque, constellaient le drapeau de l’Union !

Quant à l’île Saint-Barthélemy, ses dimensions très restreintes ne lui mériteraient que la qualification d’îlot, puisque sa longueur ne dépasse pas deux lieues et demie, avec une superficie de vingt et un kilomètres carrés.

Saint-Barthélemy est défendue par le fort Gustav. Gustavia, sa capitale, ville de faible importance, peut en acquérir, puisqu’elle est située au point de vue du cabotage entre les petites Antilles de ces parages. C’est là que, dix-neuf ans auparavant, naquit Magnus Anders, dont la famille était fixée depuis une quinzaine d’années à Gotteborg, en Suède.

Du reste, cette île s’était successivement abritée sous des pavillons divers. Elle fut française de 1648 à 1784. À cette époque, la France la céda à la Suède en échange d’une concession d’entrepôt sur le Cattégat, précisément à Gotteborg, et de quelques autres avantages politiques. Mais, bien qu’elle fut devenue Scandinave à la suite de ce traité, ayant été jadis peuplée par les Normands, elle était demeurée française par ses aspirations, par ses goûts, par ses mœurs, et il est vraisemblable qu’elle le sera toujours.

Lorsque le soleil eut disparu derrière l’horizon, Saint-Barthélemy n’était pas encore en vue. Comme une vingtaine de milles au plus l’en séparaient, nul doute que l’Alert y prît son mouillage dès l’aube, bien que le vent eût calmi avec le soir, et qu’on ne dût faire que peu de route pendant la nuit.

Néanmoins, dès quatre heures du matin, le jeune Suédois quittait sa cabine, et, gravissant les enflêchures du grand mât, il se hissa jusqu’aux barres du grand perroquet.

Magnus Anders voulait être le premier à signaler son île, et il aperçut un peu avant six heures le principal massif calcaire, qui la domine au centre, d’une hauteur de trois cent deux mètres. Aussi cria-t-il d’une voix si retentissante : « Terre !… Terre ! » que ses camarades se précipitèrent sur le pont. L’Alert se dirigea immédiatement vers la côte occidentale de Saint-Barthélemy, de manière à se présenter devant le port du Carénage, le principal, ou, pour mieux dire, le seul de l’île.

Bien que la brise fût modérée et qu’il fallût tenir le plus près, le trois-mâts gagnait assez rapidement, et, à mesure qu’il avançait, trouvait des eaux plus calmes.

Un peu après sept heures, un groupe de quelques personnes fut distinctement aperçu sur le sommet du morne, à l’endroit où la colonie arborait les couleurs suédoises :

« C’est la cérémonie réglementaire de chaque matin, déclara Tony Renault, et le pavillon suédois va être appuyé d’un coup de canon…

— Ce qui m’étonne, observa Magnus Anders, c’est que cela ne soit pas déjà fait !… D’habitude, c’est au lever du soleil, et voilà déjà trois heures qu’il est sur l’horizon ! »

L’observation était juste, et, au total, on pouvait se demander si c’était bien de la cérémonie en question qu’il s’agissait.

Le port de Gustavia offre aux navires, tirant de deux à trois mètres, d’excellents mouillages, abrités par des bancs contre lesquels vient se briser la houle du large.

Ce qui attira tout d’abord l’attention des jeunes passagers, ce fut la présence du croiseur qu’ils avaient rencontré la veille. Il était à l’ancre au milieu du port, ses feux éteints, ses voiles serrées, comme un navire pour quelque temps en relâche. Cela fit plaisir à Louis Clodion et à Tony Renault qui se promettaient de se rendre à bord, certains d’y être bien accueillis. Mais la vue de ce croiseur ne laissa pas d’être très désagréable à Harry