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que son seul regret était que son père ne lui offrît pas une petite place près de lui. Quant à Colette, elle avait assez montré à l’épreuve quelle âme d’héroïne cachait son doux extérieur : d’elle il n’y avait à craindre aucune faiblesse à l’heure où le sang-froid est nécessaire. Si bien que jamais combattants ne s’engagèrent en périlleuse aventure d’un cœur mieux cuirassé contre les périls probables de la lutte ; ils avaient désormais la certitude que mère, sœur, ou fiancée ne protesteraient, ni en paroles, ni tacitement, contre l’accomplissement d’une entreprise qu’elles avaient appris à regarder comme un devoir sacré.

Pour Henri, voler au secours de Nicole, ne pas demeurer inutile et inactif pendant qu’elle se trouvait en situation périlleuse, c’était une nécessité si élémentaire, que Mme Massey, ramenée à une vue plus équitable des choses par le fait même de son consentement, se demandait aujourd’hui comment elle avait pu entraver un vœu si légitime. Elle s’accusait humblement auprès de son mari d’égoïsme, de dureté. Et M. Massey, tout en cherchant des paroles réconfortantes, ne laissait pas de convenir qu’en effet, trop souvent, nos affections les plus saintes sont entachées de recherché personnelle, et plus tôt on a démêlé cet alliage, plus tôt il faut s’en débarrasser — ainsi qu’elle faisait si bravement.

Quant à Gérard, la nécessité de son départ semblait moins évidente. Mais s’il était aux yeux de tous une compensation à l’envolée d’Henri, toujours un peu distrait et oublieux des détails, vers une carrière où rien ne l’appelait, sauf son courage, c’était de savoir près de lui un frère qui possédait au plus haut point les qualités pratiques qui lui faisaient défaut. À part l’idée fixe d’aller combattre près de celle à qui il avait promis, d’un cœur fervent, fidélité et protection, aucun attrait pour les champs de bataille, aucune vocation latente pour le métier des armes n’étaient en effet le mobile d’Henri Massey. Homme d’étude avant tout, voué avec ardeur à la science, et sur le point à cette heure même de résoudre le problème moderne par excellence, rien ne pouvait être plus opposé à ses goûts, à ses aspirations que le triste spectacle des boucheries modernes, des ruines et des ravages auxquels il se disposait à prendre part. Il manquait totalement de cet ensemble d’aptitudes qui font ce qu’on appelle un soldat « débrouillard » ; et, plus que justifiées eussent été les appréhensions de tous les siens, s’il s’était risqué seul dans cette guerre d’un genre si nouveau, une lutte où chaque homme est tenu de posséder individuellement la science complète du métier, de ne compter que sur lui-même, soit pour l’attaque, soit pour la défense, le vivre, le vêtement, les munitions… Ces aptitudes multiples, Gérard les possédait en perfection, et il éprouvait une impatience bien naturelle de leur donner carrière. Il avait suivi pas à pas chaque épisode de cette émouvante guerre, il avait brûlé mille fois d’imiter les faits d’armes presque incroyables de cette poignée de patriotes qui tenaient en respect depuis tantôt deux ans les masses compactes de l’ennemi. Auraient-ils la chance d’arriver avant que le dernier acte de ce drame unique fût joué ? Des bruits de paix circulaient de temps à autre, toujours contredits par un nouvel effort et un nouveau miracle du patriotisme boer, et, malgré tous les vœux qu’il formait pour que ce vaillant petit peuple obtînt enfin la tranquillité si bien méritée, Gérard aurait amèrement regretté de voir finir un conflit si intéressant sans avoir pu y essayer ses talents. Aussi poussait-il de toute son activité les derniers apprêts du départ.

Les soins qu’apportaient les deux frères à cette tâche étaient bien caractéristiques. Prévoyant et avisé, Gérard assemblait sous le plus petit volume possible tout ce qui peut être utile au soldat en campagne ou à l’homme en pays neuf, et, par conséquent, lui permettre la victoire, soit contre les forces armées, soit