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Ludan finit par se montrer aimable avec tout le monde ; même avec les vieilles cousines, encore qu’en son for intérieur elle se divertît follement des prétentions de Rogatienne, de la taille de Pétiôto, unie à cet ironique surnom.

La visite s’acheva au milieu de projets d’excursion, la sœur d’Hervé étant d’une nature remuante qui s’arrangeait mal de la vie sédentaire.

Elle n’avait pas d’enfants ; là était peut-être le secret du vague ennui qui la poussait à déserter le logis.

Son frère dut s’engager à lui faire explorer chaque jour quelque coin du pays. Grand’mère n’y perdit rien. Le matin, avant le départ, sitôt de retour, le soir, Hervé accourait.

Un après-midi que la pluie avait retenu au château les promeneurs, Brigitte vint demander à Mme Andelot :

« Confiez-moi Clairette demain. Nous allons au Mézenc, M. Murcy, Hervé, René et moi. Mme Murcy se dévoue à garder tous les enfants, puisque, étant nourrice, elle ne saurait quitter son plus jeune bébé une journée entière.

« Les jardinières… »

Mme de Ludan s’interrompit de détailler les étapes de la promenade pour s’écrier :

« Oh ! grand’mère ! les drôles de voitures, si étroites et si cahotantes ! Je n’avais gardé aucun souvenir de ces véhicules bizarres ; les jardinières, donc, puisqu’elles sont seules possibles, nous conduiront à Ussel et nous y attendront pour le retour, en sorte que nous serons ici d’assez bonne heure ; seulement, il faut partir à l’aube.

— Et d’Ussel, quel est l’itinéraire ? s’informa Clairette, certaine que grand’mère ne lui refuserait pas le plaisir proposé !

— Hervé m’a dit qu’on traversait Goudet, Saint-Martin-de-Fugères, les Estables. Il paraît que le pays est superbe par là !

— Et justement je ne le connais pas ! Tu veux, grand’mère, hein ? c’est entendu. »

Mme Andelot eut un sourire indulgent, bien qu’un peu malin.

Tandis que sa tête s’inclinait en signe d’acquiescement, ses yeux semblaient dire à sa petite-fille :

« Si je ne voulais pas, tu serais capable d’y aller tout de même ; mieux vaut t’éviter l’occasion de t’insurger… »

Puis elle s’informa :

« Et, à partir d’Ussel ?

— Un break commandé au Puy nous attendra. Nous emportons des provisions ; tout est prévu. N’ayez aucune crainte pour ma cousine, je veillerai à ce qu’elle ne commette pas d’imprudences. »

Ce fut une journée d’enchantements pour la jeune fille. De bons postiers accoutumés à passer partout, des chevaux de montagne au pied sûr, les emportaient d’une allure égale, pas trop rapide, à travers des gorges sauvages, sur des hauteurs vertigineuses, par des chemins hardis jusqu’à l’audace, mais qu’on n’avait pas même la pensée d’explorer du regard, d’abord parce que les yeux étaient rivés au paysage, et aussi parce que le cocher, aguerri, connaissant bien sa montagne, tenait ses bêtes en main avec une habileté rassurante.

Et, tout en roulant vers la plus haute des Cévennes, on causait.

« Ce qui m’a frappé en venant ici et depuis que je parcours le Velay, observa Brigitte, c’est la quantité de châteaux plus ou moins en ruines que l’on rencontre.

— J’en ai été frappé aussi, repartit Yucca. Je crois que, si on se promenait en ballon, on aurait l’impression d’un immense échiquier : chaque case étant représentée par l’un de ces castels féodaux dont le nombre vous surprend, madame. Vous avez dû remarquer aussi que tous sont perchés de façon à dominer une vaste étendue de pays.

« Je me figure que les seigneurs de ce