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Où Pétiôto avait-elle bien pu prendre froid ?… c’était l’inexplicable.

Rien ne saurait rendre l’ahurissement où cette mort plongea Claire.

Pour Rogatienne, son parti fut vite arrêté : elle fit ses paquets et regagna Yssengeaux dans la huitaine, épouvantée par la crainte du mal, l’éloignement du médecin ; ayant aussi conscience, il faut le dire, que, Pétiôto disparue, elle deviendrait un embarras à tous.

Claire et grand’mère se virent donc un beau matin seules en face l’une de l’autre à table, seules toute la journée, seules aussi pour prévoir, commander, surveiller, aider au ménage…

Grand’mère, dont la vue baissait par une progression lente, mais continue, ne comptait plus. Claire compterait-elle davantage ? Irrespectueusement, Modeste se permettait d’en douter…

Voici comment, dans les premiers jours de décembre, en écrivant à Thérèse, Clairette traduisait ses impressions et celles de son aïeule :

« Ma sœur Thérèse, nous sommes les êtres les plus désorientés du monde, grand’mère et moi. Tout semble nous manquer.

« Je vous ai dit, dans ma lettre de mardi, mon chagrin, qui, peu à peu, augmente, car, les premiers jours, j’ai été stupide d’étonnement devant une disparition si prompte.

« Avant de poursuivre, je veux vous raconter ce qui a provoqué la catastrophe ; nous l’avons appris tout dernièrement, par hasard.

« Dimanche, en sortant de la messe, j’étais allée près de sa tombe, chère Pétiôto. Aidée de la sœur de M. le curé, son amie d’enfance, j’écartais la neige et je disposais les chrysanthèmes blancs que j’avais apportés, quand je vois un homme se diriger vers nous.

« Après s’être signé devant la tombe, il nous dit : « Celle qui est là m’a assisté dans un moment où j’étais si malheureux que, sans elle, je me cassais la tête, oui ! »

« Je regardai cet homme ; il pouvait avoir vingt-cinq ans. Mlle Marie, ma compagne, l’interrogea. Il nous raconta qu’il avait perdu sa femme et son petit enfant à vingt-quatre heures d’intervalle.

« Prévenue de leur maladie, Pétiôto passa trois nuits à les veiller. La troisième nuit, il pleuvait très fort, elle arriva chez ces gens mouillée jusqu’aux os. La jeune femme venait d’expirer. Au lieu de se sécher, Pétiôto s’occupa d’assister le mari dans les soins à rendre à la morte, elle voulut ensuite rester jusqu’au matin ; elle prit mal… « Je ne suis pas le seul que la bonne demoiselle ait secouru », ajouta le pauvre homme.

« Voilà donc pourquoi tant de gens pleuraient derrière le cercueil !

« Nous ignorions qu’elle se dévouait ainsi… tous à la maison l’ignoraient ! Modeste et Théofrède l’avaient vue quelquefois rentrer le matin, vers sept heures, mais, la sachant fort pieuse, ils avaient pensé qu’elle revenait d’entendre la messe.

« J’ai été toute saisie à cette révélation. Elle est au rang des martyrs, la chère créature, n’est-ce pas, ma sœur Thérèse, puisqu’elle a donné sa vie pour ses frères !

« Au récit de cet affligé, j’ai senti se raviver ma peine, et, à genoux à côté de celui qu’elle a sauvé du suicide, je l’ai pleurée de tout mon cœur.

« Mais la pleurer ne la remplace pas. À présent que j’ai pu me reconnaître, me ressaisir, je reste stupéfaite à constater la place qu’elle tenait dans la maison.

« Son rôle était des moins brillants. Ni musicienne, ni lectrice agréable, esprit terre à terre, incapable de s’élever au-dessus des occupations où s’absorbait son temps, et indispensable pourtant à un degré dont on n’a pas idée !

« Il nous vient des attendrissements subits à grand’mère et à moi, devant tout ce qui va de travers, et qui marchait si bien sous la