Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
BOURSES DE VOYAGE

des finances d’Antilian School. Avec la précision, la minutie même qui le caractérisaient, il donnait l’impression d’un économe modèle, qui n’ignore rien des mystères du doit et avoir ni des plus menus détails de la comptabilité administrative. Après avoir été jadis primé dans les examens des langues anciennes, il aurait pu l’être actuellement dans un concours pour la tenue des livres ou l’établissement d’un budget scolaire.

Très vraisemblablement d’ailleurs, c’était M. Horatio Patterson qui prendrait la direction de l’institution, lorsque M. Ardagh se retirerait, après fortune faite, car Antilian School se trouvait en état de parfaite prospérité, et elle ne péricliterait pas entre des mains si dignes de recueillir cette importante succession.

M. Horatio Patterson n’avait dépassé que de quelques mois la quarantaine. Homme d’étude plus qu’homme de sport, il jouissait d’une excellente santé qu’il n’avait jamais ébranlée par aucun excès : bon estomac, cœur admirablement réglé, bronches de qualité supérieure. C’était un personnage discret et réservé, en équilibre constant, ayant toujours su ne point se compromettre ni par ses actes, ni par ses paroles, tempérament théorique et pratique à la fois, incapable de désobliger personne, d’une parfaite tolérance, et, pour lui appliquer une locution qui ne saurait lui déplaire, très compos sui.

M. Horatio Patterson, d’une taille au-dessus de la moyenne, sans carrure, les épaules un peu fuyantes, était plutôt gauche dans sa démarche et sans élégance dans son attitude. Un geste naturellement emphatique accompagnait sa parole d’une articulation légèrement prétentieuse. Bien que de physionomie grave, il ne dédaignait pas de sourire à l’occasion. Il avait les yeux bleu pâle, à demi éteints du myope, ce qui l’obligeait à porter des lunettes d’un fort numéro, qu’il posait sur le bout de son nez proéminent. En somme, et plus souvent embarrassé de ses longues jambes, il marchait les talons trop rapprochés, il s’asseyait maladroitement à faire craindre qu’il ne glissât de son siège, et s’il s’étendait bien ou mal dans le lit, il n’y avait que lui à le savoir.

Il existait une Mrs Patterson, alors âgée de trente-sept ans, une femme assez intelligente, sans prétention ni coquetterie d’ailleurs. Son mari ne lui semblait pas trop ridicule, et il savait apprécier ses services, lorsqu’elle l’aidait dans ses travaux de comptabilité. D’ailleurs, de ce que l’économe d’Antilian School était un homme de chiffres, il ne faudrait pas s’imaginer qu’il fût négligé dans sa tenue, peu soucieux de sa toilette. On ferait erreur. Non ! il n’y avait rien de mieux disposé que le nœud de sa cravate blanche, de mieux ciré que ses bottines à bout de cuir verni, de plus empesé que sa chemise si ce n’est sa personne, de plus irréprochable que son pantalon noir, de plus ferme que son gilet semblable à celui d’un clergyman, de plus boutonné que son ample redingote qui lui descendait à mi-jambes.

M. et Mrs Patterson occupaient dans les bâtiments de l’école un appartement confortable. Les fenêtres prenaient jour d’un côté sur la grande cour, de l’autre sur le jardin planté de vieux arbres dont les pelouses étaient entretenues dans un agréable état de fraîcheur. Il se composait d’une demi-douzaine de pièces situées au premier étage.

C’est dans cet appartement que rentra M. Horatio Patterson, après sa visite au directeur. Mais il ne s’était point hâté, désireux de donner à ses réflexions pleine maturité. Sans doute, elles ne seraient plus vieilles que des quelques minutes dont il aurait prolongé son absence. Néanmoins, avec un personnage habitué à voir juste, à observer les choses sous leur véritable aspect, à balancer dans une question le pour et le contre comme il balançait le doit et l’avoir sur son grand