Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
JULES VERNE

livre, le parti serait vite et définitivement pris. Cette fois, cependant, il convenait de ne pas s’embarquer, — c’est le mot, — et à la légère dans cette aventure.

Aussi, avant de rentrer, M. Horatio Patterson fit-il les cent pas dans la cour, vide à cette heure-là, toujours droit comme un paratonnerre, raide comme un pieu, s’arrêtant, reprenant sa marche, tantôt les mains derrière le dos, tantôt les bras croisés sur la poitrine, le regard perdu en quelque horizon lointain, bien au delà des murs d’Antilian School.

Puis, avant d’aller conférer avec Mrs Patterson, il ne résista pas au désir de regagner son bureau, afin de terminer ses comptes de la veille. Et alors, une dernière vérification faite, l’esprit absolument libre, il pourrait discuter sans préoccupation d’aucune sorte les avantages ou inconvénients de la communication qu’il avait reçue de son directeur.

En somme, tout cela n’exigea que peu de temps, et, quittant son bureau situé au rez-de-chaussée, il remonta au premier étage à l’instant où les pensionnaires descendaient des classes.

Aussitôt, çà et là se formèrent différents groupes, et, entre autres, celui des neuf lauréats. En vérité, on aurait dit qu’ils étaient déjà à bord de l’Alert, à quelques milles au large des côtes de l’Irlande ! Et ce dont ils causaient avec plus ou moins de volubilité, il n’est pas difficile de l’imaginer.

Toutefois, si la question de ce voyage aux Antilles était résolue, il y en avait une autre qui pour eux ne l’était pas encore. Seraient-ils ou non accompagnés depuis le départ jusqu’à l’arrivée ?… Au total, il leur semblait assez indiqué qu’on ne les laisserait pas aller seuls à travers l’Atlantique. Mais Mrs Kethlen Seymour avait-elle désigné spécialement quelqu’un ou s’en était-elle remise de ce soin à M. Ardagh ?… Or, il semblait difficile que le directeur de l’établissement pût s’absenter à cette époque. Dès lors, à qui seraient confiées ces fonctions, et M. Ardagh avait-il déjà fait son choix ?

Peut-être vint-il à l’idée de quelques-uns que ce serait précisément M. Patterson. Il est vrai, l’économe, tranquille et casanier, n’ayant jamais quitté le foyer domestique, consentirait-il à changer toutes ses habitudes, à se séparer pendant plusieurs semaines de Mrs Patterson ?… Accepterait-il ces fonctions avec la responsabilité qu’elles entraînaient ?… Cela paraissait improbable.

Assurément, si M. Horatio Patterson éprouva quelque étonnement lorsque le directeur lui eut fait la communication susdite, on comprendra que Mrs Patterson devrait être non moins surprise, lorsque son mari la mettrait au courant. Jamais il ne serait venu à l’idée de personne que deux éléments si étroitement unis, — on pourrait dire si chimiquement combinés l’un avec l’autre, — pussent être séparés, dissociés, ne fût-ce que pendant quelques semaines. Et pourtant, il était inadmissible que Mrs Patterson fût du voyage.

C’est bien de ces diverses considérations que se préoccupait M. Patterson, tout en regagnant son appartement. Mais, ce qu’il convient d’ajouter, c’est que sa résolution était prise et bien prise, lorsqu’il franchit la porte du salon où l’attendait Mrs Patterson. Et tout d’abord celle-ci, n’ignorant pas que l’économe avait été appelé près du directeur, dit dès son entrée :

« Eh bien, monsieur Patterson, qu’y a-t-il donc ?…

— Du nouveau, madame Patterson, du très nouveau…

— On a décidé, je pense, que c’est M. Ardagh qui accompagnera nos jeunes lauréats aux Antilles ?…

— En aucune façon, et il lui est impossible de quitter l’institution à cette époque de l’année.

— Alors il a fait un choix ?…