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BOURSES DE VOYAGE

point. La façon d’être du pays est si agréable, la température si bonne, et l’on y vit dans une liberté si honnête que je n’ai pas vu un seul homme ni une seule femme, qui, après en être revenus, n’aient eu une grande passion d’y retourner. »

Et il est vraisemblable que Tony Renault éprouvait un peu de cette passion-là, car il se montrait plus agité, plus démonstratif que jamais. Ses camarades pouvaient compter sur lui pour leur faire les honneurs de son île natale. Que la relâche, d’après le programme, ne dût s’y prolonger que quatre jours, peu importait ! Avec de l’activité, le désir de tout voir et de bonnes jambes, sous la direction d’un guide tel que Tony Renault, les excursions succéderaient aux excursions et s’étendraient jusqu’à la capitale de la Martinique. Ne point le faire, ce serait avoir parcouru la France sans visiter Paris, ou, comme le dit Tony Renault, « aller à Dieppe sans voir la mer ! »

De tels projets exigeaient une complète liberté de mouvements. Il ne fallait pas s’astreindre à revenir chaque soir coucher dans sa cabine. On passerait la nuit où l’on se trouverait. Il en résulterait quelques dépenses, sans doute, mais l’économe d’Antilian School les surveillerait avec autant de soin qu’il mettrait à les inscrire sur son carnet. Et puis, en prévision de la prime que chacun des boursiers devait toucher à la Barbade, y avait-il lieu d’y regarder de si près ?…

Le premier jour fut consacré à Saint-Pierre. Après avoir admiré du large l’aspect amphithéâtral de la ville, son heureuse disposition au milieu des magnifiques bouquets de palmiers et autres arbres tropicaux sur les pentes de la montagne qui lui sert d’arrière-plan, on visita l’intérieur, digne de l’extérieur. Peut-être les maisons basses, peintes en jaune, n’ont-elles pas grand air ; mais on a dû se résoudre à les rendre solides et sûres, à les prémunir contre les tremblements de terre, si fréquents aux Antilles, contre les ouragans formidables, tels que celui de 1776, qui causa tant de désastres et étendit ses ravages à toute la surface de l’île.

Tony Renault n’oublia pas de faire à ses camarades les honneurs de la maison où il naissait, dix-sept ans auparavant, et qui était devenue un entrepôt de denrées coloniales.

Jusqu’en 1635, les Caraïbes furent les seuls habitants de la Martinique. À cette époque, le Français d’Esnambue, gouverneur de Saint-Christophe, qui vint s’y établir avec une centaine d’hommes, obligea les indigènes à se retirer dans les montagnes et au fond des bois. Toutefois, les Caraïbes n’entendaient pas être dépossédés sans résistance ; ils firent appel aux Indiens des îles voisines et, au début, parvinrent à chasser les étrangers. Mais ceux-ci, appelant des renforts, reprirent la campagne et, dans un dernier engagement, les indigènes perdirent sept à huit cents des leurs.

Une autre tentative fut encore faite par les Caraïbes pour reconquérir l’île, guerre de guet-apens et de surprises, d’assassinats isolés. On décida alors d’en finir avec cette redoutable race, et, après un massacre général, les Français demeurèrent maîtres de la Martinique.

À partir de cette époque, les travaux de culture furent conduits avec méthode et activité. Le coton, le roucou, le tabac, l’indigo, la canne à sucre, puis, dès la fin du xviie siècle, les cacaoyers, devinrent les principales richesses de l’île.

À ce propos, voici la petite histoire que raconta Tony Renault, et dont M. Patterson prit bonne note :

En 1718, un ouragan d’une extrême violence détruisit tous les cacaoyers. Or, à Paris, le jardin botanique possédait quelques-uns de ces arbres, qui lui venaient de Hollande. Le naturaliste Desclieux fut chargé d’apporter à la Martinique deux rejetons de cacaoyers. Pendant la traversée, l’eau vint presque entière-