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tantôt l’une, tantôt l’autre… Claire les écoute, souriant à demi. Grand’mère dit son chapelet ; cela interrompt un moment la causerie ; la jeune fille en profite pour rêver, en suivant des yeux la flamme dansante d’où s’échappent des pluies d’étincelles.

Sa robe noire lui donne un air grave, — elle porte le deuil de Pétiôto, si lointaine que soit la parenté ; — ses cheveux ressortent plus blonds, en ce voisinage sombre. Elle a un peu pâli, son visage s’est affiné : le manque de grand air, de mouvement, un peu de tristesse peut-être…

Elle s’efforce pourtant de tout son courage de faire face à la situation.

Mais on ne réforme pas sa nature comme on retaille un habit. Cent fois le jour, elle se surprend à retomber sur elle-même, à repousser ce qui l’ennuie — c’est toujours son premier mouvement. — Elle est souvent battue dans cette lutte perpétuelle. Il lui arrive pourtant de se vaincre, d’accomplir quelque travail qui lui coûte ou lui répugne. Elle est plus gaie, ces jours-là, sans avoir encore compris pourquoi ; ce qui fait qu’elle s’en étonne, tout autant que de ressentir plus d’ennui les jours où justement elle a obéi à toutes ses fantaisies.

C’est trop récent ; elle ignore la juste fierté qu’éprouve l’âme à constater sa force ; tout comme aussi elle prend pour du spleen le mécontentement de soi : un sentiment tout à fait nouveau.

On est au dix décembre. Les courriers ne sont pas parvenus à Arlempdes depuis trois jours ; et, depuis la semaine précédente, Claire attend vainement une lettre de Thérèse.

Les cloches continuent d’égrener leurs notes grêles au hasard des coups de vent… Tout à coup, il se joint à leur chanson mélancolique un joyeux bruit de grelots.

Des grelots ! Est-ce croyable ?… des voyageurs en cette saison !

Le bruit de grelots augmente, se rapproche, puis il cesse brusquement pour recommencer quelques secondes après : le cheval, arrêté en face du perron, s’ébroue.

Claire se dresse, toute rose.

« Grand’mère, une visite, je parie que c’est…

— Hervé ! ce ne peut être que lui, achève Mme Andelot. Le cher garçon s’est obstiné à venir. »

Dans sa voix qui chevrote un peu, un frisson de bonheur passe. Glissant dans sa poche le rosaire inachevé, la vieille dame se lève, si fort pressée de savoir qu’elle en oublie sa canne.

Claire hésite si elle la suivra. Son visage, d’abord illuminé de joie, s’assombrit sous l’empire d’une réflexion soudaine… Elle demeure, ne sachant plus…

Hervé pénétra dans la pièce, grand’mère appuyée à son bras, avant que la jeune fille eût décidé si elle irait ou non à la rencontre du voyageur.

« J’ai enfreint votre défense, vous le voyez, ma cousine, dit gaiement celui-ci. À aucun prix je n’aurais renoncé à tenir ma promesse vis-à-vis de grand’mère. »

Il réinstalla la vieille dame au coin du feu et vint à Claire. Elle lui tendit la main avec une froideur calculée. Mais, en dépit de sa volonté, son regard s’anima tandis qu’elle demandait :

« Et mes neveux ? quel dommage que vous n’ayez pu les amener ! Thérèse, Mad, Brigitte, parlez-moi de tout le monde. Vous avez fait un bon voyage ? ajouta-t-elle sur un ton différent, à peine affable.

— De tout le monde, oui, mais de toi d’abord, intervint grand’mère. Viens à ta place accoutumée, mon enfant. »

Hervé se débarrassa de sa pelisse, apporta sa chaise tout contre la bergère, à son habitude, et s’assit.

« Ma bonne grand’mère ! quelles joyeuses