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JULES VERNE

ont des vertus spéciales, et ne pas autrement s’en étonner.

Du reste, à l’exemple de Louis Clodion et de Tony Renault, et peut-être par un sentiment chez lui très naturel, il se promettait de faire les honneurs de Sainte-Lucie, où ses parents avaient occupé une haute situation parmi les notables de l’île.

D’ailleurs, la famille Hinsdale y possédait encore des propriétés importantes, plantations et sucreries, des établissements agricoles en état de grande prospérité. Ces propriétés étaient administrées pour son compte par un gérant, M. Edward Falkes, qui, prévenu de la prochaine arrivée du jeune héritier des Hinsdale, devait se mettre à sa disposition pour toute la durée de la relâche.

Il a été dit que Harry Markel ne chercherait pas à entrer de nuit dans le port. Aussi, lorsque la mer fut étale, et avant que le jusant commençât à se faire sentir, alla-t-il mouiller à l’intérieur d’une petite crique, afin de ne point être entraîné au large.

Le matin venu, Harry Markel vit qu’il serait nécessaire d’attendre quelques heures pour appareiller. La brise étant tombée après minuit, elle reprendrait sans doute de l’ouest, lorsque le soleil aurait atteint quelques degrés au-dessus de l’horizon.

Néanmoins, dès l’aube, Roger Hinsdale, le premier, M. Patterson, le dernier, tous apparaissaient sur la dunette afin de respirer un air plus frais que celui des cabines. Ils avaient hâte de contempler en pleine lumière ce littoral entrevu la veille à travers les ombres du soir.

Et, s’ils n’avaient connu l’histoire de Sainte-Lucie, c’est qu’ils n’auraient pas écouté Roger Hinsdale avec l’attention qu’y mit le mentor.

De fait, il faut bien l’avouer, l’histoire de Sainte-Lucie ne différait guère de celle des autres îles des Indes Occidentales.

Après avoir été habitée par les Caraïbes, Sainte-Lucie, déjà livrée aux travaux de culture, fut découverte par Christophe Colomb à une date qui n’est pas plus précisée que celle à laquelle arrivèrent les premiers colons. Ce qui est certain, c’est que les Espagnols n’y fondèrent aucun établissement avant l’année 1639. Quant aux Anglais, ils n’en gardèrent la possession que durant dix-huit mois, au milieu du xviie siècle.

Cependant, lorsque les Caraïbes furent emmenés par eux de la Dominique, ainsi que cela a été mentionné, les îles voisines se révoltèrent. En 1640, les indigènes fanatisés se jetèrent sur la colonie naissante. La plupart des colons furent assassinés, et seuls échappèrent au massacre ceux qui purent s’embarquer et fuir.

Dix ans après, quarante Français, conduits par un certain Rousselan, homme de résolution, vinrent s’établir à Sainte-Lucie. Rousselan épousa même une Indienne, s’attacha les indigènes par son intelligence, son habileté, et, pendant quatre ans, jusqu’à sa mort, assura la tranquillité du pays.

Les colons qui lui succédèrent se montrèrent moins habiles. À force de vexations et d’injustices, ils provoquèrent les représailles des Caraïbes, qui se vengèrent par des tueries et des pillages. Les Anglais jugèrent alors l’heure favorable à une intervention. Flibustiers et aventuriers envahirent Sainte-Lucie, qui put espérer retrouver le calme au traité d’Utrecht, par lequel l’île fut déclarée neutre.

« Enfin, demanda Niels Harboe, est-ce depuis cette époque que Sainte-Lucie appartient aux Anglais ?…

— Oui et non, répondit Roger Hinsdale.

— Je dis non, précisa Louis Clodion, qui avait lu tout ce qui concernait cette île des Antilles où devait relâcher l’Alert. Non, car, après le traité d’Utrecht, la concession fut donnée au maréchal d’Estrèes, qui y envoya des troupes en 1718 pour protéger la colonie française.

— Sans doute, répliqua Roger Hinsdale.