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JULES VERNE

jaune, si commune et si désastreuse dans l’archipel, n’y a étendu ses ravages. Cette île ne doit redouter que la violence des ouragans, d’ordinaire terribles et fréquents en ces parages.

Le gouverneur des Antilles anglaises, qui réside à la Barbade, tenait Mrs Kethlen Seymour en haute estime. Femme de grand cœur, généreuse et charitable, les malheureux n’invoquaient pas en vain son inépuisable charité.

Le déjeuner fut servi dans la vaste salle du rez-de-chaussée. Sur la table abondaient les productions de l’île, poissons, gibier, fruits dont la variété égale la saveur, et les convives apprécièrent ce menu comme il le méritait.

S’ils ne purent qu’être satisfaits de l’accueil de leur hôtesse, celle-ci éprouva pleine satisfaction à voir, rangés autour d’elle, ces jeunes voyageurs dont les visages, halés par les brises marines, respiraient le contentement et la santé.

Et, pendant le déjeuner, lorsqu’il fut question de la durée de cette relâche à la Barbade :

« Je pense, mes chers enfants, répondit Mrs Kethlen Seymour, qu’elle ne devra pas être moindre d’une quinzaine. C’est aujourd’hui le 7 septembre, et, en partant le 22, il y a tout lieu de croire que vous arriverez en Angleterre vers le milieu du mois d’octobre… J’ai l’espoir que vous ne regretterez pas votre séjour à la Barbade… Que pensez-vous de cette date, monsieur Patterson… ?

— Madame, répondit M. Patterson en s’inclinant sur son assiette, nos jours vous appartiennent, et vous pouvez en disposer à votre convenance…

— Alors, mes jeunes amis, si je n’écoutais que mon cœur, je ne vous laisserais plus retourner en Europe !… Et que diraient vos familles ?… Que dirait votre femme en ne vous voyant pas revenir, monsieur Patterson ? …

— Le cas est prévu, répondit le mentor. Oui… le cas où, l’Alert ayant disparu… des années s’écouleraient sans qu’on eût de mes nouvelles…

— Oh ! cela n’arrivera point ! affirma Mrs Kethlen Seymour… Votre traversée a été heureuse à l’aller, elle le sera au retour… Vous avez un bon navire… Le capitaine Paxton est un excellent marin…

— Certes, ajouta M. Patterson, nous n’avons jamais eu qu’à nous louer de sa conduite !

— Je ne l’oublierai pas, répondit Mrs Kethlen Seymour.

— Pas plus, noble dame, que nous n’oublierons le jour où il nous a été donné de vous présenter nos premiers hommages, ce dies albo notanda lapillo… et, comme l’a dit Martial : hanc lucem lactea gemma notet ; ou, comme l’a dit Horace : cressa ne careat pulchra dies nota ; ou, comme l’a dit Stace : creta signare diem… »

Heureusement, M. Patterson s’arrêta sur cette dernière citation, que les jeunes convives crurent devoir interrompre de leurs joyeux hurrahs.

Que Mrs Kethlen Seymour eût compris ces formules latines, ce n’était pas probable, mais elle ne pouvait se méprendre à l’intention de l’éloquent citateur. Et, d’ailleurs, peut-être les lauréats n’avaient-ils pas tous compris les phrases empruntées à Martial, à Stace, à Horace. En effet, lorsqu’ils furent seuls, voici ce que Roger Hinsdale lui dit :

« Monsieur Patterson, comment traduisez-vous exactement creta signare diem ?…

— Mais noter un jour avec la craie, ce qui équivaut à noter avec une pierre blanche, lactea gemma… Comment, vous, Hinsdale, vous n’aviez pas compris, alors que certainement Mrs Kethlen Seymour a dû…

— Oh ! s’écria Tony Renault…

— Si… si !… affirma le mentor. Cet admirable latin se comprend tout seul…

— Oh ! fit encore ce diable de Tonv.

— Pourquoi ce oh ?…

— Parce que le latin, même admirable, ne