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donnant la réplique à son oncle, il suivait par la pensée la dépêche expédiée avant de descendre dans la mine :

« Au moment de courir un danger de mort, moi, Hervé, baron de Kosen, je lègue mes fils, Louis et Paul de Kosen, à ma cousine Claire Andelot ; je la supplie de leur servir de mère si je venais à succomber. »

Cette dépêche, il l’avait adressée à Yucca, en même temps qu’un second télégramme ainsi conçu :

« Remets à ma cousine le pli qui la concerne. Préparez-la aux plus grands malheurs. Son père, enseveli au fond de la mine, est peut-être mort à l’heure qu’il est. Je vais me joindre aux sauveteurs. Arriverons-nous à temps ? L’ingénieur qui m’a renseigné en doute. Ma tante est anéantie. Pas un mot à grand’mère tant qu’il y a de l’espoir. »

Qu’allait-il survenir à la réception de ces deux télégrammes ? Claire comprendrait-elle ? Saurait-elle lire entre les lignes ?

Pauvre Clairette ! c’est à présent qu’elle aurait quelque raison de pleurer…

Après avoir questionné son neveu à propos de son voyage, Andelot reprit :

« Puisque nous voici condamnés un moment à l’inaction, parlez-moi longuement de ma fille et aussi de ma mère.

— Grand’mère rajeunit. J’ai passé deux semaines auprès d’elle cet hiver. Claire est superbe de santé : au moral… elle évolue.

— Elle évolue ! fit le père ; expliquez-vous.

— Entre nous, mon oncle, vous l’avez terriblement gâtée, repartit Hervé en riant ; — il oubliait presque la situation, reporté aux jours, aux lieux, aux êtres dont il évoquait le souvenir ; — cela tient à son état d’enfant unique. Tous ses défauts proviennent de là.

— Mon neveu, permettez-moi de vous dire que vous êtes un singulier prétendant.

— Je le sais bien. Il n’est pas en mon pouvoir de juger les yeux fermés ceux que j’aime.

— Drôle de corps », pensa Andelot.

Mais il avait grand plaisir à écouter parler Hervé, quoi qu’il dit, parce que sa voix lui rappelait celle de son frère Philippe.

« Qu’importe, au reste, puisque j’ai fini par l’aimer telle qu’elle est. Mes fils aussi en raffolent. Et… ils accomplissent l’œuvre qu’eussent accomplie jadis des petits frères. Elle est livrée à de vrais tyrans, votre fille, mon oncle. Ils ne se payent d’aucune raison. Une chose ennuie Claire, elle le leur dit : ils lui répondent : « Ça ne fait rien, fais-la tout de même. »

— Et…

— Et elle la fait.

— Pas possible… !

— Voici l’homme et la scie, à plus tard les confidences. Tout de même je voudrais bien que vous me disiez si j’ai des chances d’être agréé… Le cœur me bat… M’aime-t-elle… ? Je l’espère sans en être certain, n’ayant point osé le lui demander avant d’y être autorisé par vous… mais moi j’en suis venu à l’aimer de toute mon âme, cette terrible Clairette ! Et pourtant ! Dieu sait si nous nous chamaillons dès que nous sommes ensemble ! »

Un rire très doux monta jusqu’à de Kosen. Volchow entendait assez le français, l’ayant un peu rappris depuis qu’Andelot faisait partie de la mine, pour comprendre ce qui se disait entre l’oncle et le neveu.

Une demande en mariage dans ces conditions tragiques, et en ces termes plaisants, c’était si joli, si crâne, qu’il n’avait pu contenir la manifestation de gaieté parvenue au cousin de Claire.

Et il disait maintenant à son collègue :

« Accordez-lui la main de votre fille, Andelot ; songez que, si vous mouriez et que lui survécût, il remporterait un doute sur votre volonté… Qu’adviendrait-il ? La démarche de ce vaillant mérite mieux. Vous le connaissez, puisqu’il est de vos parents…

— Vous êtes dans le vrai », murmura Andelot.