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les contributions indirectes. C’est le mariage de Rogatienne qui, en les ramenant à Yssengeaux, elle et sa sœur, nous a permis de renouer les relations de famille interrompues, ou presque, depuis trente ans.

— C’est juste. Tu m’as écrit tout cela au moment où tu les as fait venir. »

Victor parut rassuré et reprit plus doucement :

« Vois-tu, mère, cela vaut mieux à tous égards, que Claire ne sache rien. Nous en avons bien souvent discuté, Émilienne et moi, nous sommes arrivés à conclure de même. Ce qui n’est plus doit être, pour les générations qui suivent, comme si cela n’avait point existé.

— Je me tairai, mon enfant, je t’en donne ma parole. Je ne veux pas que tu emportes ce surcroît d’inquiétude ; tu as assez d’autres soucis.

— Et tu ne te tracasseras pas à mon sujet ? demanda-t-il, venant s’asseoir tout près de la vieille dame. J’aurais pu aller aux États-Unis. Je n’ai pas accepté le poste qui m’y était offert, bien que le traitement fût plus élevé, parce qu’il y aurait eu dix jours de traversée et que je savais combien cela t’eût coûté de sentir la mer entre nous deux. »

Elle attira à elle la tête grisonnante de son fils, la prit à deux mains, et le baisa au front, longuement.

« Tu es bon !… que tu es bon pour ta pauvre vieille mère, mon fils chéri. Je rendrai tout ça à notre Clairette.

— Ne la gâte pas trop ! »

Elle rit, pour le coup, elle rit de tout son cœur.

« Tu crains la concurrence ! fit-elle avec une malice attendrie. Vous la défiez, Émilienne et toi. Je n’ai jamais vu des parents esclaves de leurs enfants comme vous l’êtes de Claire.

— Dame ! nous n’avons qu’elle.

— Hélas !… » soupira grand’mère.

Puis, reprenant un ton enjoué :

« Je compte bien que ce sera elle qui me dorlotera ; et, je te l’avoue, je me laisserai faire. À mon âge, c’est très doux d’être un peu gâtée. Mais que font-elles donc là-haut ? Faut-il si longtemps pour débarrasser deux malles ? » observa grand’mère, impatiente d’avoir tout son monde autour d’elle.

Ce qu’on faisait !… Tant et tant de choses ! Sollicitée par Émilienne, Pétiôto s’était mise en quête, empruntant ici une table à ouvrage, là un fauteuil, ailleurs un tapis. Elle revenait chaque fois, les bras chargés de quelque objet nouveau.

Le dernier meuble apporté était une étagère. Théofrède fut requis pour enfoncer des crochets dans le mur, on y suspendit le fragile rayonnage qui devint la bibliothèque.

« La cheminée est bonne ? s’informa la maman avec sollicitude.

— À dire vrai, je n’en sais rien, ma cousine, répondit Sidonie. On n’a jamais eu l’occasion d’habiter cette pièce en hiver ; peut-être n’y a-t-on jamais fait de feu. Nous allons l’essayer, si cela peut vous tranquilliser.

— Je vous avoue, ma bonne Sidonie, que…

— Oui, oui, je comprends cela », interrompit la vieille fille, savourant la douceur exquise de son nom.

Elle s’agenouilla, empressée, devant l’âtre, y accumula le papier des emballages ; Mme  Andelot y adjoignit quelques débris de planches récoltés au grenier, et on fit flamber le tout.

La cheminée tirait à souhait.

Cette fois, le visage d’Émilienne se rasséréna. Un dernier regard jeté sur l’ensemble de la pièce amena même un sourire sur ses lèvres : sa chérie ne manquerait pas de l’indispensable.

La chambre était gaie. La fenêtre, une de ces baies à profondes embrasures, qui sont presque de petites pièces, était drapée de rideaux blancs bordés d’une grecque rose, à l’ancienne mode. L’air pur de la montagne entrait à flots, apportant avec lui l’arôme fortifiant des bois de pins : un voisinage précieux pour la santé de Claire ; cette santé que