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dure, — si l’on écartait les basses branches, on entrevoyait le rocher qui tenait lieu de muraille. Sa masse se prolongeait, tantôt moins élevée, tantôt dépassant les petites croix vert pale des cimes des sapins, jusqu’au tournant, où une barrière formée de pieux très rapprochés et reliés par des fils de fer, allait rejoindre le mur en pierres cimentées et tapissé d’espaliers qui fermait l’enclos à droite.

Les communs, bâtis sur le même alignement que la maison, dont ils n’étaient séparés que par une porte charretière, et une porte plus petite pour les piétons, complétaient le quadrilatère.

Et l’ensemble du jardin ainsi enclos, sans horizon, donnait l’impression d’un nid. Claire salua d’un air de connaissance les choux et les laitues abritées sous leurs larges feuilles, si pareils à ceux d’il y a trois ans, qu’ils lui semblaient les mêmes.

Elle se fleurit d’un brin de réséda, puis son petit nez huma l’air, du côté du parc ; il lui apportait des senteurs inconnues : on eût dit un parfum de roses…

N’ayant point assisté à l’entretien de son père et de sa grand’mère, elle ne savait rien des changements survenus dans la propriété voisine.

Le matin, en voiture, ses yeux rivés au campanile ajouré de l’église et aux ruines féodales, ne s’étaient point détournés que le castel démantelé n’eût cessé d’être en vue ; et alors, les futaies du parc s’interposaient entre les voyageurs, suivant le creux du vallon et le petit château de Vielprat.

Au reste, ce n’était point cette habitation pittoresquement située, mais d’une architecture lourde et triste, avec son unique tour en poivrière, qui avait de l’attrait pour la jeune fille, c’était le parc, toujours désert ; elle avait pu le constater.

Et cela s’expliquait : le gardien chargé de faire visiter aux très rares acquéreurs qui se présentaient, la propriété, en vente depuis une vingtaine d’années, étant meunier au Vésinat, ne venait au château que lorsqu’il y avait urgence.

Ç’avait été pour Claire un enchantement de prendre possession du parc, durant son dernier séjour à Arlempdes.

Elle s’y était arrangé des coins délicieux, auxquels elle avait assigné des noms, ainsi qu’en usait Robinson dans son île.

Retrouverait-elle son banc fait d’un arbre couché ? Et le grand ravin au-dessus duquel surplombait un rocher : un bloc énorme !

Il était peut-être tombé, ce rocher ; depuis trois ans, il y avait eu de grosses tempêtes !…

Et, d’avance, elle repassait les lieux parcourus jadis, en grand mystère, tandis que son père et son oncle Augustin étaient à la chasse, et que sa mère lisait le journal à grand’mère, ou faisait avec elle et les vieilles cousines une insipide partie de dominos : la distraction des après-midi.

Quelle que fût son impatience de retourner dans le parc de Vielprat, Claire se promit néanmoins de ne pas tenter l’aventure avant le départ de ses parents : toujours cette crainte de voir son mystérieux chemin découvert… et muré !

Et c’était si amusant de passer par là, d’avoir un peu peur ; car il y avait réellement péril à marcher sur les aiguilles de sapins entassées dans la rigole, et sur lesquelles, sans cesse, le pied glissait…

Une fois sous la seule garde des cousines et de grand’mère, elle saurait assurer la liberté de ses allées et venues et défendre son indépendance.

Claire devint songeuse, ramenée à la pensée de la séparation inévitable, par le projet qui s’y rattachait.

Une buée troubla quelques secondes la limpidité de son joli regard.

Elle murmura :

« Tout de même ! c’est dans deux jours… Et combien de temps s’écoulera avant que je