Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/716

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
324
JULES VERNE

res, la tempête avait cessé, cette situation n’en était pas moins effrayante.

L’embarcation, qui mesurait trente pieds de l’étrave à l’étambot, sur cinq pieds de largeur, était suffisante pour onze passagers.

Mais, n’étant pas pontée, elle n’offrait aucun abri contre la pluie ou le vent et risquait d’emplir au premier coup de mer.

Toutefois, entre le pied du mât et l’étrave, Will Mitz installa le prélart qui, tendu d’un bord à l’autre, et soutenu au moyen d’espars, forma une sorte de taud sous lequel trois personnes trouveraient place.

En même temps, Louis Clodion et Roger Hinsdale prirent la précaution d’abriter la boussole, les caisses de biscuits et de conserves au fond du canot.

Quant aux provisions embarquées, elles devaient durer une dizaine de jours, sans compter ce que donnerait la pêche. Pour l’eau douce, sans compter non plus ce que donnerait la pluie, en la ménageant, il y en avait pour une semaine.

Dans ce délai, avoir rallié une terre quelconque, soit aux Antilles, soit aux Bermudes, était-il permis de l’espérer ?…

Non, assurément. L’Alert avait dû être rejeté très au large et plutôt dans le sud-est, ce qui l’écartait des Bermudes. Aussi, Will Mitz chercherait-il à gagner soit une des îles de l’Antilie, soit une des côtes américaines du Brésil, du Venezuela ou des Guyanes.

Mais c’était plutôt sur la rencontre d’un navire qu’il fondait quelque espoir de salut.

Telle était la situation dans cette soirée du 26 septembre. La nuit approchait, et l’obscurité serait bientôt complète. Au coucher du soleil, l’aspect de l’horizon n’avait point paru mauvais, plutôt embrumé de vapeurs que chargé de nuages à l’est comme à l’ouest. La mer tombait graduellement, les lames se balançaient en longues houles. Le souffle des alizés continuait à se faire sentir, ce qui permettait de conserver la voile. Pour éclairer la route, il ne fallait pas compter sur la lune, qui était nouvelle ; mais, entre nombre d’étoiles, la polaire brillerait dans le nord à quelques degrés de l’horizon.

Tout d’abord, Louis Clodion et ses camarades avaient offert de se mettre aux avirons, en se relayant d’heure en heure. Will Mitz leur fit observer que ce surcroît de fatigue ne s’imposait pas, et mieux valait ménager ses forces.

« La brise est régulière, dit-il, et semble devoir se tenir. Il sera temps de nager si le calme revient, ou s’il faut forcer de vitesse pour atteindre un navire…

— Will, demanda Roger Hinsdale, à quelle distance pensez-vous que soit la terre la plus rapprochée ?…

— À quatre cents milles au moins…

— Et que pourrait faire notre canot avec une brise moyenne ?… ajouta Louis Clodion.

— À peu près une soixantaine de milles par vingt-quatre heures.

— Nous aurions donc à naviguer pendant sept à huit jours ?… dit Albertus Leuwen.

— Oui, répondit Will Mitz, à moins que, d’ici là, nous n’ayons trouvé refuge à bord d’un bâtiment… »

Ce serait l’éventualité la plus heureuse, celle sur laquelle, sans doute, il aurait le plus à compter.

« En tout cas, Will, reprit Louis Clodion, ne nous ménagez pas… Nous sommes à votre disposition si la brise vient à mollir…

— Je le sais, mes jeunes messieurs, répondit Will Mitz, et je ne désespère pas de nous sauver tous !… Mais il est inutile de se fatiguer sans nécessité… Étendez-vous sous le prélart ou au fond de l’embarcation, et dormez… S’il le faut, je vous réveillerai… La nuit sera tranquille, je pense…

— Vous ne voulez pas que l’un de nous reste à l’écoute de la voile ?… proposa Axel Wickborn.

— Cela n’est pas indispensable, monsieur