Page:Hobbes - Œuvres philosophiques et politiques (trad. Sorbière), 1787.djvu/162

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les uns aux autres, et si on ne la trouve, on ne doit point supposer qu’une personne se soit soumise, ni qu’elle ait renoncé au droit de se défendre comme bon lui semblera. On ne doit pas donc s’imaginer que quelqu’un se soit obligé à un autre, ni qu’il ait quitté son droit sur toutes choses, avant qu’on ait pourvu à sa sûreté et qu’on l’ait délivré de tout sujet de crainte.


IV. Il ne suffit pas pour avoir cette assurance, que chacun de ceux qui doivent s’unir comme citoyens d’une même ville, promette à son voisin, de parole, ou par écrit, qu’il gardera les lois contre le meurtre, le larcin et autres semblables : car qui est-ce qui ne connaît la malignité des hommes et qui n’a fait quelque fâcheuse expérience du peu qu’il y a à se fier à leurs promesses, quand on s’en rapporte à leur conscience et quand ils ne sont pas retenus dans leur devoir par l’appréhension de quelque peine ? Il faut donc pourvoir à la sûreté par la punition et non pas par le seul lien des pactes et des contrats. Or, on a usé d’une assez grande précaution, lorsqu’il y a de telles peines établies aux offenses, que manifestement on encourt un plus grand mal par la transgression de loi, que n’est considérable le bien auquel on se porte à travers l’injus­tice et la désobéissance. Car, tous les hommes en sont là logés, qu’ils choisissent par une nécessité de nature ce qui leur semble être de leur bien propre, de sorte que, comme de deux biens ils préfèrent le meilleur, aussi de deux maux ils prennent toujours le moindre.


V. On suppose qu’on donne à quelqu’un le droit de punir une offense, lorsqu’on s’accorde à ne prêter point secours à celui auquel on veut imposer quelque peine. Or, je nommerai ce droit-là l’épée de justice. Les hommes gardent assez, pour la plupart, ces conventions-là, si ce n’est lorsqu’il s’agit de leur punition, ou de celle de leurs parents.


VI. D’autant donc qu’il est nécessaire pour la sûreté de chaque particulier et ainsi pour le bien de la paix publique, que ce droit de se servir de l’épée, en l’imposition des peines, soit donné à un seul homme ou à une assemblée, il faut nécessairement avouer que celui qui exerce cette magistrature, ou le conseil qui gouverne avec cette autorité, ont dans la ville une souveraine puissance très légitime. Car, celui qui peut infliger des peines telles que bon lui semble, a le droit de contraindre les autres à faire tout ce qu’il veut : ce que j’estime le plus absolu de tous les empires, et la plus haute de toutes les souverainetés.


VII. Mais on avancerait fort peu par la bonne intelligence et la paix intérieure, si les confédérés ne pouvaient pas se défendre contre ceux qui ne sont pas entrés dans leur alliance ; et il ne serait pas possible de se garantir des attaques des étrangers, si les forces n’étaient bien unies ; voilà pourquoi il me semble nécessaire, pour la conser­vation des particuliers, qu’il y ait une certaine assemblée, ou bien un homme seul, auquel l’on donne la puissance d’armer et de convoquer, selon les occasions et la nécessité de la défense publique, le nombre de citoyens qu’il faudra pour résister aux forces ennemies, et auquel on laisse la liberté de traiter et de faire la paix toutes fois et quantes qu’il le jugera nécessaire. Il faut donc concevoir que tous les habitants d’une ville, ou tous les sujets d’un royaume ont conféré ce droit de guerre et de paix à un seul homme, ou à un certain conseil ; et que ce droit, que je puis nommer l’épée de guerre, appartient au même homme, ou à la même cour qui tient l’épée de justice. Car, personne ne peut contraindre les autres à prendre les armes ni à soutenir les frais de la guerre, qui n’ait le droit de punir les réfractaires. Et ainsi je conclus que, suivant la constitution essentielle de l’État, les deux épées de guerre et de justice sont entre les mains de celui qui y exerce la souveraine puissance.


VIII. Or, d’autant que ce droit du glaive n’est autre chose que l’autorité de se servir de l’épée quand on le jugera nécessaire ; il s’ensuit que celui qui le manie doit juger du temps et de la manière à laquelle il faut le mettre en usage. Car, si la puissance de déterminer là-dessus était donnée à une certaine personne et si celle d’exécuter la résolution était laissée à quelque autre, on résoudrait quelquefois en