Page:Hoefer - Biographie, Tome 18.djvu/477

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aussi bon que le bon chanoine en avoit point bu de sa vie ; » puis, « après boire, » sitôt que le chevalier était las de conter, notre chroniqueur ’< escripsoie la substance de ses récits, pour en avoir mieux la mémoire au temps à venir, car il n’est si juste retentive que c’est d’escripture. ... 1) Et tant « travellèrent , tant chevauchèrent ainsi , que , par grâce de Dieu j sans péril et sans dommage, ils vinrent au chûtel du comte de Foix, à Ortais , en l’an de grâce 1388 ». Le comte Gaston Phœbus, informé de l’arrivée du voyageur, l’envoya chercher chez un de ses éciiyers où il logeait, et lui dit d’un air riant qu’il le connaissait bien, quoiqu’il ne l’eût jamais vu, mais qu’il avait oui parler de lui, et le tetint de son hôtel, c’est-à-dire le défraya à ses dépens pendant plus de trois mois. Froissart quitta Orthez au mois de mars 1389, avec Jeafme de Boulogne, nièce de Gaston , laquelle allait en Auvergne épouser le duc de BeiTy. Il passa par Avignon, où on lui vola sa bourse, et il composa sur cet accident le Bict du Florin. Il assista à toutes les fêtes du mariage, qui fut célébré dans la nuit de la Pentecôte à Riom en Auvergne, et composa une pastourelle pour le lendemain des noces. Il se rendit ensuite à Paris avec les sires de La Rivière et de La Trémouille, et alla passer quinze jours au château de Crèvecœur, chez le baron de Couci. Il fit aussi une excui’Sion au château de Schoenhoven, en Hollande , pour visiter son patron le comte de Blois, ce qui ne l’empêcha pas d’arriver à Paris huit jours avant l’entrée d’Isabeau de Bavière, le 22 août 1389. L’année suivante on le voit successivement dans le Languedoc, puis encore à Paris et à Valenciennes ; de là à Bruges, à L’Écluse dans la Zélande, enfin à Chimay. Tant de voyages avaient fourni d’amples documents à Froissart. 11 les mit en œuvre, et reprit la rédaction de sa Chronique. Lui-même a rendu compte avec beaucoup de grâce et de vivacité de la manière dont cette œuvre fut composée. « Or, considérez, dit-il, entre vous qui me lisez ou me hrez, oU m’avez lu, ou orrez lire, comment je puis avoir su ni rassemblé tant de faits desquels je traite et propose en tant de parties. Et pour vous informer de la vérité, je commençai jeune, dès l’âge de vingt ans ; et si suis venu au monde avec les faits et les aventures; et si y ai toujours pris grand plaisance plus que à toute autre chose; et si m’a Dieu donné tant de grâce que je ai été bien de toutes les parties, et des hôtels des rois, et par espécial de l’hôtel du roi Edouard d’Angleterre et de la noble reine sa femme, madame Phihppe de Hainaut , reine d’Angleterre, dame d’Irlande et d’Aquitaine, à laquelle en ma jeunesse je fus clerc, et la servois de beaux dicts et traités amoureux : et pour l’amour du service de la noble et vaillante dame à qui j’étols, tous les autres seigneurs, rois, ducs, comtes, barons et chevaliers , de quelque nation qu’ils fussent, me aimoient, oyoient et voyoient


volontiers , et me faisoient grand profit. Ainsi, au titre de la bonne dame et à ses coulages et aux coulages des hauts seigneurs en mon temps, je cherchoie la plus grande partiede la chrétienté; et partout où je venois, je faisois enquête aux anciens chevaliers et écuyers qui avoient été en faits d’armes et qui proprement en savoient parler, et aussi à aucuns hérauts de crédence, pour vérifier et justifier toutes matières. Ainsi ai-je rassemblé la haute et noble histoire et matière, et le gentil comte de Blois dessus nommé, y a fendu grahd’peine; et tant comme je vivrai par la grâce de Dieu je la continuerai ; car comme plus y suis et plus y laboure, et plus me plaît ; car ainsi comme le gentil chevalier et écuyer qui aime les armes , et en persévérant et continuant il s’y nourrit parfait , ainsi en labourant et ouvrant sur cette matière je m’habilite et délecte, » Depuis quatre ans Froissart n’avait pas quitté son pays natal : c’était un bien long repos pour son humeur vagabonde. La conclusion des trêves de Lolinghen, en 1394, lui fournit une nouvelle occasion de voyager. L’envie lui prit de revoir le pays où, « de son jeune temps, il avoit été si bien de tontes parties auprès de sa bonne reine j madame Philippe de Hainaut ». Il s’embarqua pour l’Angleterre dans les premiers jours de juillet 1394, et alla offrir le recueil de ses poésies à ce roi Richard qu’il avait vu naître à Bordeaux vingt -huit ans plus tôt. Voici en quels termes il raconte lui-même l’accueil qu’il reçut de ce prince : « Et voulut voir le roi le livre que j’avois apporté. Si le vit en sa chambre, car tout pourvu je l’avois, et lui mis sus son lit. Il l’ouvrit et regarda dedans, et lui plut grandement, et plaire lui devoit, car il étoit enluminé , écrit et historié, et couvert de vermeil velours à dix doux d’argent dorés d’or, et roses d’or au miUeu, et à deux grands fermaulx dorés et richement ouvrés au milieu de rosiers d’or. Donc me demanda le roi de quoi il traitoit, et je lui dis : D’amours ! De celle réponse fat-il tout réjoui; et regarda dedans le livre en plui sieurs lieux et y legy, car moult bien parloit et lisoit françois.... et me fit très-bonne chère, pour la cause de ce que de ma jeunesse j’avois été clerc et familier au noble roi Edouard, son tayan, et à madame Philippe de Hainaut, sa taye ; et fus un quart d’an en son hôtel ; et quand je me départis de lui , ce fut à Windsore. A prendre congé, il me fit par un chevalier donner un gobelet d’argent doré, pesant deux marcs largement, et dedans cent nobles, dont je valus mieux depuis tout mon vivant. Et suis moult tenu à prier pour lui. « 

Trois ans après , en 1 397 , mourut le comte de Blois, « si endetté , dit le chroniqueui-, et de si petite ordonnance , que le sien , rentes et revenus, ne purent fournir ses dettes. Dieu en ait l’àrae de lui ! Ce fut mon seigneur et mon maître, et un seigneur honorable et de grand’ recommandation, »