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LALLEMAND

lemand jetèrent les yeux sur un district inhabité du Texas, sur les bords de la rivière de la Trinité, à quatre-vingt-dix kilomètres de son embouchure. Ce fut le nouveau Champ d’Asile. Le gouvernement américain n’encouragea pas cette combinaison ; mais un corsaire de la Nouvelle-Orléans avança des fonds, donna des outils et des vivres. Une note adressée à Ferdinand VII, roi d’Espagne, fut imprimée, dans laquelle les frères Lallemand et les réfugiés déclaraient leur intention de s’établir au Texas ; ils s’offraient à payer un impôt à l’Espagne ; mais ils entendaient se régir selon leurs propres lois. Le 18 décembre 1817 cent cinquante colons partirent de Philadelphie sur une goélette et sous le commandement du général Rigaud. Au bout d’un mois ils débarquèrent à l’ile basse et nue de Galweston, et s’y installèrent tant bien que mal, vivant misérablement de chasse et de pêche. Au mois de mars ils furent rejoints par deux ou trois cents autres colons conduits par Lallemand ; quelques-uns étaient venus de France même. On se rembarqua : les uns débarquèrent pour aller par terre au Champ d’Asile, les autres remontèrent la Trinité sur le navire. Le 21 tous étaient réunis. On dressa un camp ; on éleva des forts, on organisa militairement les colons. Chacun reçut vingt arpents de terre avec des instruments et des semailles. Ce n’était sans doute pas là ce qu’avaient rêvé la plupart des réfugiés. Pour maintenir son autorité, Lallemand dut recourir au despotisme le plus violent. Enfin, on apprit qu’un détachement d’Espagnols marchait sur la colonie pour la disperser. Lallemand feignit d’abord de vouloir résister ; mais bientôt, cédant à des conseils plus prudents, il se replia avec ses colons sur Galweston. Dans ce pays improductif, la course seule pouvait être lucrative. Lallemand s’y refusa. Bientôt pourtant les vivres manquèrent ; le général partit un beau jour avec ses aides de camp, dans le but, disait-il, d’aller presser l’envoi des munitions ; il devait être de retour au bout de quarante jours. On ne le revit plus. Tous les malheurs fondirent sur la colonie. Le corsaire qui les avait amenés les ramena sur la côte, et ceux qui survivaient se rendirent comme ils purent à la Nouvelle-Orléans ou dans la Louisiane. La popularité du général Lallemand subit un grave échec à la suite de cette affaire. Ses amis avaient répondu qu’il n’avait jamais songé à une colonie agricole, non plus que ses collègues ; ou bien qu’il avait compté enlever l’empereur de Sainte-Hélène et lui offrir un noyau d’armée aux États-Unis ; qu’il avait rêvé la conquête des Florides, du Texas, du Mexique peut-être ; que les États-Unis ayant traité avec l’Espagne avaient abandonné Lallemand et sa troupe après l’avoir d’abord laissé s’organiser contre cette puissance. En France, on s’était épris de la pensée de fonder sur la terre libre de l’Amérique une colonie destinée à servir de refuge aux débris des armées de l’empire. « Profitant, dit M. Véron, de la disposition des esprits vers la fin de 1818, M. Félix Desportes, réfugié lui-même en Allemagne, rentré en France depuis peu de temps, eut l’idée d’une souscription en faveur des colons du Champ d’Asile. Il communiqua ce projet aux rédacteurs de La Minerve, qui ouvrirent avec empressement une souscription dans leurs bureaux. M. Davillier, banquier, fut le dépositaire des fonds versés. Il offrit d’établir à Charlestown, par ses correspondants, un comité chargé de distribuer des secours aux Français, soit pour leur établissement en Amérique, soit pour leur retour en France. Tous les journaux de l’opposition publiaient chaque matin les noms des souscripteurs et les sommes reçues. Le Champ d’Asile occupait un terrain que se disputaient l’Espagne et les États-Unis. Par suite de conventions entre les deux puissances, les États-Unis prirent possession de ce terrain, et les Français furent chassés de la nouvelle patrie qu’ils s’étaient faite ; le bruit se répandit alors à Paris que le Champ d’Asile n’existait plus. La souscription fut close le 1er juillet 1819 ; elle avait produit quatre-vingt-quinze mille dix-huit francs seize centimes. À cette somme s’ajoutèrent les bénéfices de la vente d’une Notice sur le Champ d’Asile publiée par le libraire Ladvocat au profit des réfugiés. Bientôt des lettres de New-York apprirent en France que le gouvernement des États-Unis avait songé à indemniser les colons du Texas, et leur avait offert en échange les terres d’Alabama, situées sur le Tombeekbee. Le général Lefebvre-Desnouettes se rendit au congrès pour régler les limites de l’Alabama, la répartition des terres ; il reçut les pouvoirs nécessaires, et la colonie fut fondée. On lui donna le nom d’État ou Canton de Marengo ; le plan d’une ville fut tracé ; on l’appela Aigleville, et ses rues reçurent les noms des principales victoires auxquelles les réfugiés avaient pris part. L’établissement du canton de Marengo levait tous les doutes sur l’emploi à faire de l’offrande patriotique pour le Champ d’Asile ; mais il ne fut jamais rendu un compte exact et public de l’emploi des fonds de cette souscription. » La nouvelle colonie prospéra ; mais Lallemand n’eut aucune part à sa fondation. Il songea d’abord à s’associer à une maison de commerce ; puis il pensa étudier les lois de la Louisiane pour se faire avocat, ou bien aller rejoindre les insurgés du Mexique ou de Venezuela. Enfin, il prit à ferme, en 1819, un grand domaine auprès de la Nouvelle-Orléans. Il s’occupait toujours de l’enlèvement de Napoléon, entretenait une correspondance suivie avec l’île de Sainte-Hélène, et avait un crédit chez les banquiers de Napoléon. L’empereur lui légua cent mille francs dans son testament. Des créanciers mirent opposition à la délivrance de ce legs sur les fonds qui étaient dans les mains de Laffitte (voy. ce nom) ; Lallemand emprunta encore dessus, et une difficulté s’élevait sur la question de savoir s’il pouvait hériter, étant mort civilement