Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/101

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innée qui me distingue, et je dis à haute voix aux singuliers personnages dont j’étais entouré que j’espérais me trouver chez un peuple civilisé, et que j’aurais recours à la police et aux tribunaux du pays, pour être vengé d’une méprise aussi injuste. Là-dessus je les entendis tous murmurer quelque chose entre eux. Ceux qui n’avaient pas soufflé de fumée comme les autres tirèrent de leurs poches les machines destinées à cet usage, et tous se mirent à m’envoyer dans la figure d’épais nuages de vapeur, dont je remarquai seulement alors l’odeur désagréable et tellement nauséabonde que j’en eus les sens tout troublés. Puis ils proférèrent contre moi une espèce de malédiction en termes si horribles, que je n’ose ni ne puis te les répéter, mon bon ami Rufin. Je n’y pense moi-même qu’avec un profond sentiment d’horreur. Enfin, ils s’éloignèrent avec des rires bruyants et moqueurs, et je crus distinguer ces mots : fouet de chasse, se perdre dans les airs !

» Le voiturier, qui avait tout vu comme moi et tout entendu, joignit les mains et me dit : « Ah ! mon cher monsieur ! après ce qui vient de se passer, gardez-vous, tant que vous vivrez, d’entrer dans cette ville ! Pas un chien, comme dit le proverbe, ne recevrait un morceau de pain de votre main, et vous seriez exposé à de continuels dangers : les bâtons… » Je ne laissai pas achever ce valeureux personnage, mais je fis volte-face et je gagnai aussi vite que je pus le village le plus prochain. C’est dans la petite chambre nue de l’unique auberge de cet endroit que je t’écris tout cela, mon cher Rufin ! Je