Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/140

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d’expression, et de qui il prenait des leçons depuis deux ans.

« Enchanté, s’écria Sbiocca en sautant hors de la voiture, enchanté, mon cher monsieur Balthasar, mon digne élève et ami, de vous rencontrer ici pour pouvoir prendre congé de vous bien cordialement.

» Comment, monsieur Sbiocca ? dit Balthasar, j’espère que vous ne quittez pas Kerepes, où tout le monde vous honore et vous estime, où l’on serait en vérité au désespoir de vous perdre.

» Oui, monsieur Balthasar, répliqua Sbiocca dont la vive rougeur accusait la colère qui l’enflammait, je quitte une ville où tout le monde a perdu la tête, et qui ressemble à une véritable maison de fous ! — Vous n’étiez pas hier à mon concert puisque vous étiez allé courir les champs ; autrement vous auriez pu me prêter main-forte contre ces enragés ligués contre moi.

» Qu’est-il donc arrivé, au nom du ciel, qu’est-il arrivé ? » s’écria Balthasar.

Sbiocca poursuivit : « Je jouais le concerto le plus difficile de Viotti. C’est ma jouissance, mon triomphe ! vous me l’avez entendu jouer, et il vous a toujours causé un nouvel enthousiasme. Eh bien, hier, c’est un fait, j’étais tout particulièrement bien disposé, l’esprit dégagé, spirito alato, enfin. Aucun violoniste sur toute la terre, Viotti lui-même, ne m’aurait pas surpassé. Bref, lorsque j’eus fini, le ravissement général éclata, comme je m’y attendais, par des transports frénétiques, con furore ! Le violon sous le bras, je m’incline poliment pour remercier