Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/141

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l’auditoire… Mais ! de quel spectacle sont témoins mes yeux, mes oreilles ! Tous les assistants, sans faire à moi la moindre attention, se pressent dans un coin de la salle en s’écriant : « Bravo ! bravissimo ! divin Cinabre ! quel jeu ! quel doigté ! quelle expression ! quelle pureté ! » — Je me précipite, je me fraye un passage : que vois-je ? un misérable drôle contrefait, moins haut que ma botte, qui croasse d’une voix désagréable : « De grâce ! de grâce !… J’ai fait de mon mieux, d’après mes petits moyens. Il est vrai que je suis en ce moment le plus fort joueur de violon qui soit en Europe et dans les quatre parties du monde !

» Mille diables ! m’écriai-je, et qui donc vient de jouer, moi ou ce vermisseau-là ! » Et comme le nain continuait de croasser : « De grâce ! de grâce, messieurs ! » je veux me jeter sur lui et le saisir de mes cinq doigts : mais alors tous se précipitent sur moi, en se récriant sur les effets extravagants de l’envie, de la jalousie… Pendant ce temps-là, quelqu’un vint à s’écrier : « Et quelle composition ! » Et tout le monde de répéter à la fois : « Et quelle composition, divin Cinabre ! sublime compositeur ! » Oh alors je m’écriai plus violemment qu’auparavant : « Tout le monde est-il donc fou, ou possédé ? C’était un concerto de Viotti, et c’est moi, moi le célèbre Vincenzo Sbiocca, qui l’ai exécuté ! » À ces mots, ils s’emparent de ma personne, ils parlent d’accidents étranges, de folie furieuse, rabbia italiana, et ils me portent de vive force dans une pièce voisine, en me traitant absolument comme un malade en démence.