Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/142

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» Peu après, la signora Bragazzi s’élance dans la chambre, où elle tombe évanouie. Il lui était arrivé la même chose qu’à moi. Quand elle eut fini de chanter, la salle retentit de mille « Brava ! bravissima Cinabre ! » Et chacun s’écriait qu’on ne pouvait trouver sur la terre une cantatrice pareille, tandis que l’infâme Cinabre croassait de nouveau : « De grâce ! de grâce, messieurs ! » —

» Signora Bragazzi a une fièvre ardente et n’y survivra pas. Quant à moi, j’ai recours à la fuite pour échapper à cette engeance de fous ! Portez-vous bien, mon cher monsieur Balthasar ! — Si vous rencontrez par hasard le signorino Cinabre, ayez la complaisance de lui dire qu’il se garde bien de se montrer jamais dans un concert dont je ferais partie. Je le prendrais infailliblement par ses petites pattes de scarabée, et je le ferais passer par un des trous en f de la contrebasse ; là il pourrait tout à son aise faire le virtuose et la cantatrice le reste de ses jours. — Bonne santé, mon cher Balthasar, et ne négligez pas l’étude du violon. »

En disant ces mots, le sieur Vincenzo Sbiocca embrassa Balthasar, immobile de surprise, et remonta dans la voiture, qui se mit à rouler avec vitesse.

« N’ai-je donc pas raison ? se dit à lui-même Balthasar ; ce petit être ignoble, ce Cinabre est sorcier et il ensorcèle les gens. » — En ce moment, un jeune homme passa devant lui en courant, pâle, troublé, la fureur et le désespoir peints sur sa figure. Cette rencontre fit une impression douloureuse sur Balthasar. Il crut avoir reconnu dans ce jeune homme un