Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/202

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cœur pur, ouvert à l’amour et à ses tendres rêveries, une âme où résonnent ces mystérieux accords, écho du monde lointain et tout peuplé de merveilles, qui est ma patrie. Les hommes privilégiés qui comprennent cette musique intérieure sont les seuls qu’on puisse vraiment appeler poètes : nom sacré qu’on prodigue, hélas ! à une foule de gens qui, toujours prêts à faire sonnailler au hasard le premier instrument ronflant qui leur tombe sous la main, tiennent pour une harmonie ravissante à laquelle leur âme est identifiée le charivari des cordes à boyau tiraillées par leurs griffes sauvages.

» Toi, mon cher Balthasar, je le sais, il t’arrive souvent de croire comprendre le langage des arbres qui frémissent, des sources et des ruisseaux qui murmurent ; il te semble, à l’heure du crépuscule, que les flammes pourprées du couchant t’adressent d’intelligibles paroles ! — Oui, mon Balthasar ! dans ces moments tu entends en réalité la voix merveilleuse de la nature ; car de ton propre sein surgissent les divins accords que vivifie l’aspect sublime des plus riches harmonies de la nature ! Toi qui joues du clavecin, ô poète, tu sais qu’une touche mise en jeu fait vibrer les cordes dont le ton est à l’unisson. Tu penses bien que cette loi physique sert à autre chose qu’à former une fade comparaison. Oui, poète : tu en es bien plus parfait que ne l’imaginent la plupart de ceux à qui tu as communiqué tes essais, c’est-à-dire la traduction visible et matérielle de cette musique intime de l’âme. C’est la moindre des choses que cette poésie écrite. Cependant tu as