Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/25

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m’écriai-je, épines ou crochets, combien le diable n’en a-t-il pas semés partout à notre préjudice ! sur les parois des murailles, sous les berceaux, dans les haies de rosiers, de sorte que nous laissons toujours quelque lambeau de notre cher individu accroché au passage. On dirait, mes dignes maîtres, que chacun de nous a déjà été dépouillé de la sorte ; pour moi, je regrette surtout cette nuit l’absence de mon chapeau et de mon manteau. Tous deux sont restés, comme vous le savez, pendus à un clou dans l’antichambre du conseiller de justice. »

Mes deux compagnons tressaillirent visiblement comme frappés d’une secousse imprévue. Le petit me lança un regard horrible avec sa figure décrépite, puis il sauta brusquement sur une chaise et tira plus avant le rideau qui couvrait la glace, tandis que le grand mouchait les chandelles avec un soin tout particulier. La conversation se renoua péniblement. On vint à parler d’un jeune peintre demérite, nommé Philipp, et de son portrait d’une certaine princesse, remarquable par un sentiment profond de l’art et de l’infini, fruit d’une ardente inspiration et d’un amoureux enthousiasme. « Ressemblance surprenante ! dit le grand ; il n’y manque que la parole. En vérité, ce n’est pas un portrait, mais une image, un reflet. — Au point, dis-je, qu’on pourrait le croire dérobé au miroir même. »

À ces mots, le petit bondit en l’air avec fureur, et fixant sur moi le regard enflammé de son vieux visage, il s’écria : « Ceci est stupide : quelle absurdité ! qui peut dérober une image réfléchie par une