Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/809

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« Vous savez maintenant, Monsieur, dit le jeune homme à demi-voix, ce qu’il en est de mon bon vieux père. Un sort fatal a flétri pour lui toutes les fleurs de la vie, et depuis plusieurs années déjà, il est mort pour l’art qui était autrefois tout pour lui. Il passe des journées entières devant cette toile apprêtée, le regard fixe ; il appelle cela peindre, et vous avez vu quelle exaltation s’empare de lui quand il entreprend de décrire son chef-d’œuvre imaginaire. — En outre, il est poursuivi par une autre idée fixe qui me prépare une existence pleine de tourments et d’angoisse ; mais je m’y résigne comme à une fatalité invincible, qui m’associe sans espoir à sa condition déplorable. Suivez-moi, pour vous distraire de cette scène pénible, dans la pièce voisine, où vous verrez plusieurs tableaux peints par mon père dans toute la maturité de son talent. »

Quelle fut la surprise de Traugott à la vue d’une galerie de tableaux qu’on aurait volontiers attribués aux meilleurs maîtres de l’école flamande. La plupart étaient des scènes familières comme un Retour de chasseurs, une Société se divertissant à jouer, des Chanteurs répétant un concert, etc. Mais ces sujets si simples étaient empreints pourtant d’une certaine profondeur ; l’expression des têtes surtout offrait un caractère frappant de vérité et d’énergie.

Traugott se disposait à sortir de la salle, lorsqu’il aperçut auprès de la porte un tableau à l’aspect duquel il resta comme pétrifié. — C’était une vierge revêtue de l’ancien costume allemand, et miraculeusement séduisante, dont les traits offraient la plus