Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/317

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gures invisibles à tout autre, et tes paroles s’échappaient en soupirs inarticulés. — Aux questions de tes amis alarmés : Qu’éprouvez-vous donc, mon estimable ami ? — qu’avez-vous, mon cher ? Si tu voulais répondre, et définir ta sensation intime avec ses vives couleurs, ses ombres et ses clartés ; en t’efforçant de trouver des termes pour t’exprimer, il te semblait que, du premier mot, tu allais évoquer toute la magie splendide, horrifique, épouvantable ou joyeuse qui te possédait, de manière à saisir tout le monde comme par une secousse électrique : et cependant pas une parole, pas une des ressources du langage qui ne te parût décolorée, inerte et impuissante. Tu cherches, tu hésites, tu bégayes, tu balbuties… ; et les propos de tes amis, dans leur sang-froid, tombent comme un souffle glacial sur la flamme qui te consume et finissent par l’éteindre tout à fait. — Mais si tu avais d’abord, à l’instar d’un peintre hardi, fixé en quelques traits grandioses l’ébauche de ton tableau imaginaire, alors il te devenait facile de le colorer graduellement des tons les plus vigoureux ; et les amis, émus à l’aspect de tant de figures variées et vivantes, partagaient avec toi l’illusion et le charme de ce spectacle créé par ton imagination !

À dire vrai, et je dois te l’avouer, lecteur bénévole ! personne ne m’a questionné sur l’histoire du jeune Nathanael. Mais tu n’ignores pas que j’appartiens à l’espèce singulière des auteurs, qui ne se voient nantis du moindre document semblable à ce que je viens d’exposer, sans s’imaginer que tous ceux qui les approchent, que le monde entier même