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médaillon. Francine étant sortie avec le manteau, elle regarda l’objet : c’était un petit miroir rond de métal poli.

— C’est un présent de Lise ! dit-elle vivement.

Et elle crut voir s’élancer du miroir des étincelles qui pénétraient dans sa poitrine et lui apportaient une chaleur bienfaisante. Le frisson de la fièvre disparut, et elle fut inondée d’un sentiment ineffable de bien-être et de plaisir. Il lui fallait penser à Anselme ; et à mesure que sa pensée se dirigeait toujours plus violemment vers lui, il lui souriait amicalement du miroir comme un portrait vivant en miniature. Mais bientôt il lui semblait qu’elle ne voyait plus le portrait, mais bien Anselme lui-même. Il était assis dans une grande salle singulièrement ornée, où il écrivait avec ardeur. Véronique voulait s’approcher de lui, lui frapper sur l’épaule et lui dire : « Monsieur Anselme, retournez-vous donc, je suis là ! » Mais il lui était impossible, car il paraissait entouré d’un fleuve éclatant de feu ; et quand Véronique regardait ce fleuve avec attention, c’étaient de grands livres dorés sur tranche. Mais elle parvint à rencontrer les yeux d’Anselme : il lui sembla à son aspect rêver d’abord à elle ; puis enfin il lui sourit en disant :

— Ah ! c’est vous, mademoiselle Paulmann ! Mais pourquoi donc prenez-vous de temps en temps la forme d’un serpent ?

Ces paroles étranges faisaient rire Véronique aux éclats. Alors elle s’éveilla comme d’un songe, et elle cacha bien vite le petit miroir ; car la porte s’ouvrait, et son père entrait dans la chambre avec le docteur Eckstein.

Le docteur se dirigea aussitôt du côté du lit, tâta longtemps le pouls de Véronique d’un air préoccupé et dit alors :

— Eh ! eh !

Là-dessus il écrivit une ordonnance, tâta encore le pouls et répéta de nouveau :

— Eh ! eh !

Et il quitta la patiente.

Le recteur Paulmann ne put conclure de ces assertions du médecin rien de bien positif sur l’état de Véronique.


HUITIÈME VEILLÉE

La bibliothèque des palmiers. — Sort malheureux d’un salamandre. — Comment la plume noire caressa un morceau de rave, et comment le greffier Heerbrand s’enivra.


L’étudiant Anselme travaillait déjà depuis plusieurs jours chez l’archiviste Lindhorst. Ces heures de travail étaient pour lui les plus heureuses de sa vie ; car, toujours entouré de sons agréables, des paroles encourageantes de Serpentine, touché souvent par un léger souffle qui passait en frémissant près de lui, il était inondé d’une félicité qui allait souvent jusqu’à l’excès de la joie. Toute peine, tout chagrin de son existence nécessiteuse avaient disparu de son esprit et dans la nouvelle vie qui s’ouvrait à lui tout éclatante de soleil il comprenait ces merveilles d’un monde supérieur, qui déjà l’avaient rempli d’étonnement et d’effroi. Ses copies allaient très-vite, car il lui semblait qu’il transcrivait sur le parchemin des caractères connus depuis longtemps ; il lui suffisait de regarder l’original pour l’imiter avec la plus scrupuleuse exactitude. Outre les moments de repos, l’archiviste se faisait voir de temps en temps ; mais il apparaissait toujours juste à l’instant où Anselme venait de terminer la dernière ligne d’une page. Il lui en donnait une autre, et le quittait de nouveau, sans prononcer une seule parole, mais après avoir touché l’encre avec un petit bâton noir et avoir remplacé les plumes par d’autres toutes neuves et plus fraîchement taillées.

Un jour, lorsque Anselme au coup de midi avait déjà monté les portes de l’escalier, il trouva fermée la porte par laquelle il entrait ordinairement, et l’archiviste Lindhorst apparut de l’autre côté dans sa robe de chambre singulière et tout ornée de fleurs brillantes. Il lui cria :

— Aujourd’hui nous entrons ici, mon cher monsieur Anselme, car le maître de Bhogovotgita nous attend dans cette chambre.

Il traversa le corridor et conduisit Anselme à travers les chambres et les salles qu’il avait vues le premier jour. Anselme s’étonna encore de la magnificence du jardin ; mais il vit alors distinctement que plusieurs fleurs singulières pendantes dans les sombres bosquets étaient des insectes étincelants des plus vives couleurs, qui voltigeaient de toutes parts et qui en dansant entre eux semblaient se caresser en faisant tourner leurs trompes. Au contraire les oiseaux, de couleur rose et bleu de ciel, étaient des fleurs odorantes, et leur parfum, qu’elles répandaient à l’envi, s’émanait de leurs calices avec des bruits délicieux qui se mêlaient au clapotement des fontaines éloignées, au murmure des grands arbrisseaux et des arbres en formant des accords d’une plaintive mélancolie. Les oiseaux moqueurs qui la première fois l’avaient raillé et persiflé voltigeaient autour de sa tête en criant sans cesse de leurs voix déliées :

— Monsieur l’étudiant, monsieur l’étudiant ! n’allez pas si vite, ne regardez pas les nuages, vous pourriez tomber sur le nez ! Hé ! hé ! monsieur l’étudiant, mettez sur vous le manteau à poudrer, compère schuhu vous frisera le toupet !