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bre, pensa l’étudiant Anselme. Mais les clochettes résonnèrent de nouveau, et Anselme vit un serpent s’étendre en bas vers lui.

Il reçut par tous les membres comme une secousse électrique, et deux magnifiques yeux d’un bleu sombre le fixèrent avec une ineffable tendresse, et sa poitrine semblait prête à se briser d’un sentiment inconnu de la félicité la plus grande et de la plus poignante douleur. Et comme il regardait toujours les beaux yeux tout remplis d’un violent désir, alors les cloches de cristal sonnèrent plus fort en accords harmonieux, et les émeraudes brillantes venaient tomber sur lui et l’entouraient, et en dansant en cercle elles pétillaient en mille flammes en jouant avec des fils d’or étincelants.

Le sureau s’agita et dit :

— Tu t’es reposé sous mon ombre, mon parfum t’a environné, mais tu ne m’as pas compris ; mon parfum est mon langage quand il est embrasé par l’amour.

Le vent du soir passa près de lui et dit :

— J’ai joué autour de tes tempes, mais tu ne m’as pas compris : le souffle est mon langage quand l’amour l’enflamme.

Les rayons du soleil percèrent le nuage, et leur éclat brillait comme s’ils eussent dit :

— J’ai versé sur toi mon or, mais tu ne m’as pas compris : l’ardeur est mon langage quand l’amour l’allume.

Et toujours de plus en plus enchanté par les regards des deux beaux yeux, le désir devenait plus vif, plus irrésistible. Alors tout commença à se mouvoir comme animé d’une joyeuse existence. Les fleurs et leurs boutons répandaient leurs odeurs, et c’était le chant délicieux de mille voix de flûtes ; et l’écho de ce qu’ils chantaient s’en allait au loin dans les pays étrangers porté par les nuages qui passaient vite.

Mais lorsque le dernier rayon du soleil disparut rapide derrière les montagnes et que le crépuscule répandit sur le pays son crêpe d’or, alors une voix rude et profonde appela comme des lointains :

— Hé ! quel est ce murmure et ce frémissement là-haut ? Hé ! hé ! qui va me chercher le rayon derrière les montagnes ? Assez de soleil, assez de chants ! Hé ! hé ! à travers les bois et le gazon ! Hé ! hé ! des-cen-dez ! des-cen-dez !

Et la voix s’éteignit comme les roulements d’un tonnerre lointain ; mais les cloches de cristal se brisèrent avec un ton discordant. Tout devint muet, et Anselme vit les trois serpents se glisser vers le fleuve en traçant dans l’herbe un sillon lumineux ; ils se jetèrent avec bruit dans l’Elbe, et sur la vague où ils disparurent pétilla un feu vert qui s’éloigna en biais dans la direction de la ville en lumineuse vapeur.


DEUXIÈME VEILLÉE

Comment l’étudiant Anselme fut regardé à la ville comme un fou ou un homme ivre. — Le passage de l’Elbe en bateaux. — L’air de bravoure du maître de chapelle Graun. — La liqueur stomachique de Conrad et la tête de bronze.


— Ce monsieur n’est pas précisément dans son bon sens, disait une honnête bourgeoise qui revenait de la promenade avec sa famille, et regardait les bras croisés l’un sur l’autre la folle conduite de l’étudiant Anselme.

Celui-ci avait embrassé le tronc du sureau et adressait aux branches et aux feuilles ces mots incessants :

— Oh ! brillez, resplendissez une fois seulement encore, vous charmants petits serpents d’or, laissez-moi seulement une fois encore entendre la voix de vos cloches, encore un seul de vos regards, charmants yeux bleus, autrement je vais mourir de douleur ou de mes désirs !

Et il soupirait et gémissait lamentablement du plus profond de son âme, et secouait dans l’ardeur de son délire le sureau, qui, pour toute réponse, agitait ses feuilles avec un bruit sourd et indistinct, et paraissait se moquer de ses chagrins.

— Ce monsieur n’est pas précisément dans son bon sens, dit la bourgeoise. Et il sembla à Anselme qu’il était tiré d’un songe par la secousse d’une rude main ou par de l’eau froide qu’on aurait jetée sur lui pour l’éveiller ; alors seulement il vit distinctement où il était, et se rappela qu’une vision singulière l’avait charmé jusqu’au point de le faire parler à voix haute. Il regarda la femme d’un air consterné et saisit pour s’éloigner au plus vite son chapeau, qui était tombé par terre. Le père de famille s’était aussi approché pendant ce temps, et après avoir posé sur le gazon le petit enfant qu’il portait dans ses bras il s’était appuyé sur sa canne en regardant l’étudiant et en écoutant ses paroles.

Alors il ramassa la pipe et le sac à tabac que l’étudiant avait aussi laissés tomber, et dit en lui tendant l’un et l’autre :

— Ne vous lamentez donc pas aussi épouvantablement dans l’obscurité et n’inquiétez pas les gens quand rien ne vous tourmente, si ce n’est d’avoir trop souvent regardé votre verre ; rentrez raisonnablement chez vous et couchez-vous sur l’oreille.

Anselme se sentit honteux ; il poussa un soupir plein de larmes.

— Bon, bon, continua le bourgeois, il n’y a pas de mal à cela, cela arrive au meilleur homme du monde, et au beau jour de l’Ascen-