Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 1.djvu/321

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ses souffrances ; il ne lui est point permis de songer à les abréger[1]. Sa religion lui ordonne de continuer à gémir ; elle lui défend de recourir à la mort qui ne seroit pour lui que l’entrée d’une existence malheureuse, il seroit éternellement puni pour avoir osé prévenir les ordres lents d’un dieu cruel qui se plaît à le voir réduit au désespoir, & qui ne veut pas que l’homme ait l’audace de quitter sans son aveu le poste qui lui fut assigné.

Les hommes ne règlent leurs jugemens que sur leur propre façon de sentir ; ils appellent foiblesse ou délire les actions violentes qu’ils croient peu proportionnées à leurs causes, ou qui semblent priver du bonheur vers lequel on suppose qu’un être jouissant de ses sens ne peut cesser de tendre ; nous traitons un homme de foible lorsque nous le voyons vivement affecté de ce qui nous touche très peu, ou quand il est incapable de supporter des maux que nous nous flatterions de soutenir avec plus de fermeté que lui. Nous accusons de folie, de fureur, de phrénésie quiconque sacrifie sa vie, que nous regardons indistinctement comme le plus grand des biens, à des objets qui ne nous paroissent point mériter un sacrifice si coûteux. C’est ainsi que nous nous érigeons toujours en juges du bonheur, de la façon de voir & de sentir des autres ; un avare qui se tue après la perte de son trésor, paroît un insensé aux yeux de celui

  1. Le christianisme & les lois civiles des chrétiens en blâmant le suicide, sont très-inconséquentes. L’ancien Testament en fournit des exemples dans Samson, Eléazar, c’est-à-dire, dans des hommes très-agréables à Dieu. Le messie ou le fils du Dieu des chrétiens, s’il est vrai qu’il soit mort de son plein gré, fui évidemment un suicide. On en peut dire autant d’un grand nombre de martyrs, qui se sont volontairement présentés au supplice, ainsi que des pénitens qui se sont fait un mérite de sa détruire peu à peu.