Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 1.djvu/367

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besoin est un plaisir au moment où il se satisfait ; l’absence du chagrin & de la maladie est un état heureux dont nous jouissons sourdement & sans nous en appercevoir ; l’espérance, qui rarement nous abandonne tout-à-fait, nous aide à supporter les maux les plus cruels. Le prisonnier rit dans les fers, le villageois fatigué rentre en chantant dans sa cabane ; enfin l’homme qui se dit le plus infortuné ne voit point arriver la mort sans effroi, à moins que le désespoir n’ait totalement défiguré la nature à ses yeux[1].

Tant que nous désirons la continuation de notre être, nous ne sommes pas en droit de nous dire complétement malheureux ; tant que l’espérance nous soutient nous jouissons encore d’un très-grand bien. Si nous étions plus justes en nous rendant compte de nos plaisirs & de nos peines, nous reconnoîtrions que la somme des premiers excède de beaucoup celle des derniers ; nous verrions que nous tenons un régistre très exact du mal & peu exact du bien. En effet nous avouerions qu’il est peu de journées entiérement malheureuses dans tout le cours de notre vie. Nos besoins périodiques nous procurent le plaisir de les contenter ; notre ame est perpétuellement remuée par mille objets, dont la variété, la multiplicité ; la nouveauté nous réjouit, suspend nos peines, fait diversion à nos chagrins. Les maux physiques sont-ils violens ? Ils ne sont pas d’une longue durée, ils nous conduisent bien-tôt à notre terme ; les maux de notre esprit nous y mènent également. En même-tems que la nature nous refuse tout bonheur, elle nous ouvre une porte pour sortir de la vie ; refusons-nous d’y

  1. Voyez ce qui a été dit sur le suicide dans le chapitre 14.