Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ses dômes, ses trésors échappent au Destin.
Moi, je puis voir ou non mes sommes égalées.
Après mille travaux, un exil de huit ans,
Je rentrai, de leur poids ma flottille grossie.
Errant, je connus Cypre, Égypte, Phénicie,
Sidon, race Éthiope, Érembes si distants,
Et Lybie, où cornus tous les agneaux de naître.
L’ouaille, trois fois l’an, là donne un agnelet.
Là jamais le berger ni le seigneur champêtre
Ne manquent de fromage, ou de viande, ou de lait,
Car en toutes saisons brebis se laissent traire.
Tandis que j’amassais des butins copieux,
Un autre en trahison m’assassina mon frère,
Poussé par une épouse au cœur malicieux.
Aussi de ces grands biens je jouis sans béance.
Vos pères, quels qu’ils soient, vous auront tout conté ;
Car j’ai beaucoup souffert et vu fuir l’opulence
D’une vaste maison, riche à saturité.
Ah ! je voudrais n’avoir qu’un tiers de ma fortune,
Et qu’ils vécussent tous, ces généreux guerriers
Morts là-bas, loin d’Argos, nourrice des coursiers !
Je pleure et je gémis sur leur perte commune.
Au fond de mon palais fréquemment retiré,
Tantôt je me désole et tantôt je m’apaise ;
Car on se lasse aussi d’un deuil trop concentré.
Mais il est un chagrin qui plus que tous me pèse,
Qui me rend le manger, le dormir odieux :
C’est que nul Achéen n’endura tant de peines
Qu’Ulysse en supporta ! nous devions donc tous deux,
Lui malheurer, et moi de ses courses lointaines
Rester inconsolable ; et nous ne savons pas
S’il est vivant ou mort. Ce doute afflige certe