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MYSTÉRIEUX
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de votre meilleur vin des Canaries et aidez-moi à en voir le fond.

Pendant qu’il parlait, l’aubergiste le fit passer, avec l’accueil le plus gracieux, dans la grande salle, où se trouvaient réunies plusieurs personnes occupées à causer. L’arrivée du voyageur fixa leur attention. C’était un homme dont la physionomie était loin d’être sympathique. Son air de hardiesse sans franchise, l’expression de son regard effronté, sa tournure, et jusqu’au son de sa voix, inspiraient une sorte d’éloignement pour sa personne. Son manteau entr’ouvert laissait voir un justaucorps galonné et un ceinturon de buffle qui soutenait un sabre et une paire de pistolets.

— Vous voyagez avec de bons compagnons, dit Léandre Gravel en servant le vin sur la table ?

— Oui, mon hôte ; j’ai reconnu leur utilité dans les moments de danger.

— Oui-dà ! monsieur. Venez-vous des Pays-Bas, sol natal de la pique et de la couleuvrine, comme disait mon défunt père ?

— J’ai été « haut » et « bas », d’un côté de l’autre, près et loin ; mais je bois à votre santé. Emplissez votre verre et buvez à la mienne, si cela vous va. Si votre vin n’est pas bon au superlatif, buvez-le tel que vous l’avez versé.

— S’il n’est pas bon, répéta le père Léandre, après avoir vidé son verre, vous n’en boirez pas de pareil chez Lafrenière aux Trois-Rivières, ni chez Désy à Berthier, pas même à l’auberge du Castor à Québec. Si vous en buvez de meilleur aux Canaries, je consens à ne toucher de ma vie ni pot ni argent. Levez votre verre et regardez au travers ; voyez les atomes s’agiter dans cette liqueur dorée comme la poussière dans un rayon de soleil.

— Il est propre et généreux, mon hôte ; mais pour avoir d’excellent vin, il faut le boire