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LE MANOIR

— Allons ! mon oncle, trêve de plaisanteries, et voyons quel accueil cordial vous allez faire à un neveu qui a roulé le monde pendant quinze ans, qui a vu le soleil se lever où il se couche, et qui a voyagé depuis les pays où il ne fait jamais jour jusqu’à ceux où il n’y a jamais de nuit.

— À ce que je vois, Michel, tu as rapporté de tes voyages un des talents communs à la généralité des voyageurs. Toutefois, je me souviens que parmi tes bonnes qualités, tu avais déjà avant ton départ celle de ne jamais dire un mot de vérité.

— Voyez-vous ce mécréant, messieurs, — dit Michel Lavergne aux témoins de cette scène, dont plusieurs n’ignoraient pas les hauts faits de sa jeunesse, — c’est sans doute là ce qu’on appelle à la Rivière-du-Loup tuer le veau gras. Mais sachez, mon oncle, que je n’ai pas gardé les pourceaux, et je porte sur moi de quoi me bien faire recevoir partout.

En parlant ainsi il tira de sa poche une bourse remplie de pièces d’or, dont la vue produisit un certain effet sur la compagnie. Les deux moins scrupuleux s’approchèrent de Michel et le reconnurent pour un ancien camarade, tandis que les autres, plus sérieux, sortirent de l’auberge en disant entre eux que si Léandre Gravel voulait prospérer, il fallait qu’il chassât de chez lui, le plus tôt possible, son vaurien de neveu. L’honnête aubergiste sembla partager cette opinion, malgré la vue de l’or, et il dit au voyageur :

— Mon neveu, mets ta bourse dans ta poche ; le fils de ma sœur n’a pas d’écot à payer chez moi s’il veut y souper et y passer la nuit, car je ne suppose pas que tu aies l’intention de rester longtemps dans un pays si voisin des Trois-Rivières, où tu n’es que trop connu.