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LE MANOIR

Jusque-là DuPlessis avait gardé le silence, mais il ne put contenir plus longtemps son étonnement et son indignation, et, quelque répugnance qu’il eût à se mêler à une semblable conversation, il risqua l’observation suivante :

— J’avais toujours cru jusqu’aujourd’hui que le petit peuple canadien n’était composé que de gentilshommes, et qu’il était aussi rare de voir un malhonnête homme vivre dans son atmosphère sociale si pure qu’une chauve-souris se montrer en plein midi. Mais, à vous entendre parler, on serait porté à prendre ce pays pour un repaire de brigands. Heureusement qu’il n’y a pas d’étranger pour vous écouter.

— Ce que vous dites là, monsieur Gatineau DuPlessis, répliqua Michel Lavergne sur un ton goguenard, est aussi vrai que vous et moi avons eu l’honneur de naître à l’ombre du même clocher, bien que nous nous soyons reconnus pour la première fois aujourd’hui seulement : à preuve que ceux qui n’étaient pas dignes de respirer la même atmosphère pure que mes amis ici présents et moi, en sont morts à la peine, ainsi que vous venez de l’entendre dire.

Cette répartie désarma DuPlessis, qui se mit à sourire. Michel continua :

— Après ces désastres, mes amis, c’est tout au plus si j’ose prononcer le nom de Thom Cambrai, notre aîné d’une dizaine d’années, celui qu’on surnomma le « Bûcheron », parce qu’il n’avait pas son pareil pour abattre les gros arbres de la forêt sur la terre qu’il avait eue du seigneur Poulin de Francheville, non plus que pour engloutir dans son gros goulot court les chopes de vin que d’autres lui payaient et qu’il ne rendait jamais.

— Ce Thom Cambrai vit et prospère, dit l’aubergiste ; mais, mon neveu, garde-toi de le nommer « Bûcheron », si tu ne veux pas faire