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NATASHQUAN

et un peu de lard pour faire le rude voyage, et l’on prépara dix goélettes pour l’expédition. Le 22 mars, qui était un dimanche, le missionnaire, M. l’abbé F. de B. Boutin, se rendit après vêpres sur le rivage, avec toute la population, et bénit les vaisseaux et les équipages. Puis l’on mit à la voile. — Les semaines succédèrent aux semaines, et l’on était bien inquiet, dans les foyers de Natashquan, sur l’issue de la campagne. Quand donc reviendront les chasseurs ? Auront-ils réussi ? — Les goélettes rentrèrent enfin au port. Elles étaient, hélas ! aussi lèges qu’au départ !

La déception fut cruelle. Mais, après tout, l’époque de la pêche à la morue était arrivée ou à peu près, et tout pouvait encore être réparé. Eh bien, la pêche à la morue manqua complètement, comme aux quatre années précédentes.

Le découragement s’emparait des infortunés pêcheurs de Natashquan. Leur missionnaire, M. l’abbé Boutin, eut alors l’idée de leur proposer de quitter ce pays de désolation, pour aller s’établir sur des terres et se livrer à l’agriculture, dont les promesses sont moins trompeuses. Plusieurs familles agréèrent la proposition, et demandèrent qu’on les aidât à réaliser ce projet. Mgr  Bossé, le Préfet apostolique, approuva les plans du missionnaire, qui se mit aussitôt à l’œuvre.

Ce qu’il fallait d’abord, c’était d’émouvoir le cœur du gouvernement, machine qui d’ordinaire est douée d’un immense pouvoir d’inertie. Quand un orateur pourra se vanter d’avoir fait jaillir une larme de la paupière d’un gouvernement, il aura atteint et même dépassé l’idéal !

Dans le cas présent, il fallait attendrir non seulement le gouvernement de Québec, mais encore celui d’Ottawa, que des physiologistes entendus assurent être du tempérament le plus flegmatique que l’on puisse imaginer. Au premier, l’on demandait de prendre soin des nouveaux colons et de les établir sur de bonnes terres ; ou priait le gouvernement fédéral, à qui appartient l’empire des flots en notre beau Canada, d’envoyer l’un de ses vaisseaux faire acte de charité et transporter à destination les émigrants du Labrador.