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LABRADOR ET ANTICOSTI

L’ami qui n’a pu se défendre d’un pareil enthousiasme en me parlant du Capt. Blais, je le connais pour être d’un calme parfait, d’un sang-froid remarquable, difficile à émouvoir. Si le sujet l’a emporté à ce point, c’est donc qu’il a bien du mérite, ce Capt. Blais !

Voici, d’autre part, le témoignage d’un autre missionnaire qui a récemment voyagé à bord de la Stadacona, plus connue à Québec sous le nom de La Blanche. « La chambre du capitaine, dit-il, est ornée d’images pieuses. Un crucifix, devant lequel soir et matin le capitaine dit lentement sa prière, occupe la place d’honneur. Près du crucifix se trouve une image de N.-D. de Bon-Secours : c’est une relique d’un des hommes du bord. Jadis, ce vieux loup de mer (un Degagné, de Québec) vit son bateau faire naufrage. Il se précipite dans la cabine malgré l’eau qui lui monte jusqu’aux épaules, il saisit un tableau de N.-D. de Bon-Secours, et, riche de ce seul trésor sauvé, il fait un radeau et arrive à terre avec l’image gardée fidèlement malgré les vagues et la tempête. Cette image ne le quittera jamais ! »

Eh bien, voilà nos marins du Saint-Laurent ! De la vigueur au travail, du courage dans le danger, mais avant tout de la foi et de la piété !

Pour revenir au Capt. Blais, il est âgé de 64 ans. L’an dernier, il a remis le commandement de sa goélette et la direction de son commerce à son fils Joseph, qui continuera dignement les traditions paternelles. Cela n’empêche pas que le vieux navigateur descend encore au Labrador presque à chaque voyage de la Stadacona. Pourtant, depuis plusieurs années, il prend la ferme résolution, chaque automne, de ne plus retourner au golfe ; mais, le printemps venu, le bon vieux ne peut résister au désir de reprendre la mer. Qu’elle est donc puissante, cette fascination qu’exerce la mer sur tous ceux qui l’ont vue de près, qui en ont vécu, qu’elle a bercés sur ses flots mouvants, même qu’elle a ballottés sur ses vagues en furie !