Page:Huard - Labrador et Anticosti, 1897.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
BETSIAMIS

emporte dans le bois tout ce qu’il a pu obtenir du marchand et tout ce qu’il sera possible de loger dans les canots et l’on part, et l’on avance à bien petites journées ; même, il n’y a pas besoin d’empêchements très graves pour que l’on ne marche pas du tout. Il est entendu, en effet, que l’on ne chasse pas, tant que l’on a encore des provisions. Et l’on ne s’inquiète pas à la pensée que si, plus tard, les provisions étant épuisées, on ne rencontre pas de gibier, la famine pourrait faire souffrir cruellement la famille. Non, on ne s’en inquiète pas, et l’on vit au jour le jour. Pour être juste, pourtant, je dois ajouter que, maintenant, d’après ce que m’a dit un missionnaire, les Montagnais ont plus de prévoyance qu’autrefois. Mais, comme ils n’en avaient pas beaucoup autrefois, il n’est pas à croire que cette utile vertu soit encore particulièrement brillante chez eux.

Il arrive donc un moment où la dernière mesure de farine est elle-même épuisée. Non seulement on a mangé son pain blanc le premier, comme dit le proverbe ; mais il faut dire adieu à tout pain quelconque, jusqu’au retour à la mer, l’été suivant. Alors commence sérieusement la chasse, et même la pêche. Les lacs et les rivières fournissent ordinairement en abondance le saumon, la truite et d’autres poissons fort savoureux. Et surtout, les divers gibiers à plumes ou à poils varient agréablement le menu de chaque jour. On vit dans l’imprévu. Il n’y a pas à rédiger d’avance le programme culinaire de la semaine. Jamais l’on ne sait si le lendemain on dînera de caribou, d’ours, de lièvre, de perdrix[1] ou de castor. Quoi qu’il en soit, on tue ce qui se présente. Et comme avant de griller un bifteck de caribou ou d’autre chose, il faut d’abord lever la peau de l’animal, voilà l’industrie qui s’en vient d’elle-même forcer la main au sauvage. On ramasse ainsi, tout l’hiver, des pelleteries que l’on

  1. Les Gallinacés auxquels nous donnons erronément le nom de Perdrix, sont des Tétras (Perdrix de savane), des Gélinottes (Perdrix de bois franc), et des Lagopèdes (Perdrix blanche). Cette dernière espèce, la Perdrix blanche, passe même l’été sur la Côte Nord, surtout au Labrador où elle niche. Mais, durant la belle saison, son blanc plumage est lavé de noir, de jaune et de blanc. Les Tétras et les Gélinottes habitent aussi ce territoire.