Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/35

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Naiman, il traverse la barrière de pieux pour entrer en Mantchourie, et coule du nord au midi jusqu’à la mer. À son embouchure, il prend le nom de Léao Ho.

La Bonne montagne est fameuse par ses frimas. Il n’y a pas d’hiver que le froid n’y tue un nombre considérable de voyageurs. Souvent des convois entiers n’arrivant pas aux jours marqués, sont retrouvés sur la montagne ; mais hommes et animaux tout est mort de froid. Aux dangers de la température se joignent ceux des voleurs et des bêtes féroces. Les brigands y sont, pour ainsi parler, à demeure fixe, attendant les voyageurs qui se rendent à Tolon-Noor, ou qui en reviennent. Malheur à l’homme qui tombe entre les mains de ces brigands ! Ils ne se contentent pas d’enlever l’argent et les animaux ; ils arrachent même les habits, et abandonnent le malheureux détroussé, à la merci du froid et de la faim.

Les voleurs de ces contrées savent assaisonner leur brigandage de politesse et de courtoisie. Ils n’ont pas la malhonnêteté de vous braquer un pistolet sur la gorge, et de vous crier brutalement : La bourse ou la vie ! Ils se présentent modestement, et puis : Mon vieux frère aîné, je suis las d’aller à pied, veuille me prêter ton cheval… Je suis sans argent, veuille me prêter ta bourse… Il fait aujourd’hui bien froid, veuille me prêter ton habit. Si le vieux frère aîné a assez de charité pour prêter tout cela, on lui dit : Merci, mon frère ; sinon, l’humble requête est spontanément appuyée de quelques coups de trique. Si cela ne suffit pas, on a recours au sabre.

Le soleil commençait à baisser, que nous n’étions pas encore descendus du plateau. Nous songeâmes néanmoins