Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et nous nous dirigeâmes de ce côté à pas précipités. La pluie, qui commença à tomber par torrents, vint encore redoubler la célérité de notre marche. Pour surcroît d'infortune, la charge d'un de nos chameaux chavira, et passa d'entre ses bosses au dessous du ventre ; nous fûmes obligés de faire accroupir le chameau, et de rajuster les bagages sur son dos. Nos habits étaient ruisselants, lorsque nous arrivâmes à un petit lac dont l'eau était troublée et grossie par la pluie. Il n'y eut pas besoin de délibérer ce soir-là sur l'endroit où nous devions dresser la tente, car nous n'avions pas à choisir : la terre était partout imbibée à une grande profondeur.

La violence de la pluie avait beaucoup diminué ; mais la force du vent était devenue plus intense. Nous eûmes une peine horrible pour dérouler notre misérable tente, devenue semblable à un paquet de linge qu'on retirerait d'un cuvier de lessive. Les difficultés augmentèrent encore, quand nous voulûmes essayer de la tendre ; et sans le secours de la force extraordinaire dont était doué Samdadchiemba, nous n'y serions jamais parvenus. Enfin nous eûmes un abri contre le vent et une petite pluie glaciale qui ne cessait de tomber. Aussitôt que le logement fut disposé, Samdadchiemba nous adressa ces consolantes paroles : Mes Pères spirituels, je vous ai prédit qu'aujourd'hui nous ne mourrions pas de soif... ; mais mourir de faim, je n'en réponds pas. — C'est qu'en effet nous étions dans l'impossibilité de pouvoir faire du feu. Dans cet endroit on n'apercevait pas une branche, pas une racine. Aller à la recherche des argols, c'était peine perdue ; la pluie avait réduit en bouillie cet unique chauffage du désert.