Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/72

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les Chinois ont un mauvais cheval ou un bœuf décrépit, ils le conduisent aux bergers de l’Empereur qui, pour une somme très-modique, leur permettent de choisir à volonté dans les troupeaux. Par ce moyen, ayant toujours le même nombre d’animaux, ils peuvent jouir de leur fraude avec paix et assurance.

Jamais par un plus beau temps nous n’avions parcouru de plus belles contrées. Le désert est quelquefois hideux et horrible ; quelquefois aussi il a ses charmes, charmes d’autant mieux sentis qu’ils sont plus rares, et qu’on les chercherait vainement dans les contrées habitées. La Tartarie a un aspect tout particulier ; rien au monde ne ressemble à un pays Tartare. Chez les nations civilisées, on rencontre partout sur ses pas des villes populeuses, une culture riche et variée, les mille produits des arts et de l’industrie, et les agitations incessantes du commerce. On s’y sent toujours entraîné et emporté comme dans un immense tourbillon. Dans les pays au contraire où la civilisation n’a pu encore se faire jour, ce ne sont que des forêts séculaires, avec toute la pompe de leur exubérante et gigantesque végétation ; l’âme est comme écrasée par cette puissante et majestueuse nature. La Tartarie ne ressemble en rien à tout cela. Point de villes, point d’édifices, point d’arts, point d’industrie, point de culture, point de forêts ; toujours et partout c’est une prairie, quelquefois entrecoupée de lacs immenses, de fleuves majestueux, de hardies et imposantes montagnes ; quelquefois se déroulant en vastes et incommensurables plaines. Alors, quand on se trouve dans ces vertes solitudes, dont les bords vont se perdre bien loin dans l’horizon, on croi-