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LA PITIÉ SUPRÊME.


Dessécher un enfant, hélas ! faire un despote !
Faire un prodigieux égoïste ! un tyran
Arrêtant le progrès sur le divin cadran !
Faire un être effréné qui dira : — Je suis l’arche !
Je suis l’autel ! — pour qui le genre humain en marche,
Le bien, le mal, les yeux en pleurs, l’homme vivant,
Ne seront que de l’ombre et du bruit et du vent !
Déchaîner un sinistre avenir dans le Louvre !
Abuser du moment où toute lèvre s’ouvre
Pour lui verser ce philtre exécrable et nouveau !
Dénaturer un cœur ! forcener un cerveau !
Enivrer l’ignorance, enivrer l’innocence
Du formidable vin de la toute-puissance !
Mettre, avec un sourire abject et triomphant,
Tout un peuple, hochet, dans la main d’un enfant,
Et les laisser rouler l’un et l’autre aux abîmes !
Penseur ! qui que tu sois, ce sont là deux victimes.
Plains ce peuple, mais plains l’enfant qu’on abrutit.
Mères ! ayez pitié de ce pauvre petit !
Pendant qu’un assassin sur son âme se dresse.
Tuant en lui l’amour, la vertu, la tendresse.
Prenant ses bons instincts, traître, et les étouffant.
Il est là, doux et seul, et rien ne le défend.
Oh ! l’éducation ! quel bienfait, ou quel crime !
Frêle tête d’enfant qu’un idiot déprime !
Sombre adulation qui mêle et qui pétrit
L’infini, l’absolu, dans un chétif esprit !
Qui fait que désormais, la prenant à la lettre,
Un homme faible et né d’une femme va mettre
Son triste crâne étroit, fait pour durer si peu,
En équilibre avec le front même de Dieu,
Avec le profond ciel plein d’ombre et plein de joie,
Avec ce grand cerveau de l’abîme où flamboie
Le lever effrayant des constellations !